Son estomac révolté ne tolérait aucune nourriture et des vomissements incoercibles la vidaient régulièrement du peu de force qu'elle pouvait tenter de récupérer. Une chaleur accablante, qui traversait même les murs énormes de Champtocé, incendiait dans la campagne les meules de paille trop sèche, abattait les bêtes dans les champs et asséchait les fontaines, acheva de l'éprouver. Tout le jour, un implacable soleil brillait dans un ciel blanc. les puits tarissaient et l'eau potable devenait aussi précieuse que l'or. Il n'était pas jusqu'à la Loire qui ne s'asséchât en grande partie, montrant ses fonds sableux comme un tissu usagé montre sa trame. Pourtant, Catherine ne se plaignait pas. Si accablée qu'elle fût par ses malaises, elle les supportait stoïquement parce que c'était l'enfant d'Arnaud qui les lui infligeait. Seulement, quand elle se sentait trop épuisée, elle craignait que les choses ne tournassent mal et qu'elle en vînt à perdre son fruit.
Tout le jour, elle demeurait étendue dans son lit, couverte seulement d'un drap mince, derrière l'abri des volets clos que l'on n'ouvrait pas avant que le soleil baissât. Sara lui tenait compagnie et, souvent aussi, la dame de Craon dont la canicule avait interrompu les galopades. L'intrépide chasseresse s'en consolait en passant auprès de Catherine d'interminables heures à lui conter ses exploits des années précédentes. Seul, Jean de Craon ne franchissait jamais le seuil de la chambre. Chaque matin, il faisait prendre, correctement, des nouvelles de sa prisonnière par un page, mais n'en relâchait pas pour autant sa surveillance. À travers ce que lui racontait la châtelaine, Catherine arrivait à comprendre assez clairement la mentalité du vieux seigneur. Elle tenait en peu de mots : l'amour exclusif, passionné et aveugle qu'il portait à son petit-fils. Gilles, pour Jean de Craon, c'était sa race incarnée, son dieu, l'être pour la puissance et la gloire duquel il était prêt à tous les crimes.
— Gilles n'était encore qu'un enfant, disait Anne, que mon époux, afin de lui donner une idée exacte de sa puissance, l'encourageait à tuer, piller, brûler ses propres villages. Il faisait traîner devant lui les coffres pleins d'or en lui disant que c'était son bien, qu'il pouvait en faire ce qu'il voulait, que l'or était le souverain pouvoir, la clef de toute jouissance.
— Il n'est pas difficile de deviner quelle peut être la mentalité profonde du maréchal, répondait Catherine. Il n'aime que lui-même, je pense ?
— C'est exact et, souvent, je l'ai déploré, mais jamais autant que lorsqu'il a enlevé Catherine, ma petite-fille. J'ai pressenti qu'elle ne pourrait qu'être malheureuse. C'est pourquoi j'ai accepté d'épouser mon seigneur... Tant que je serai vivante, je pourrai protéger Catherine.
— Pourtant, il ne vous viendrait pas à l'idée de vous élever contre les décisions de votre époux ?
— Non. Il est mon époux, justement. C'est lui le maître et, moi, je dois obéir.
Le mot était curieux dans la bouche de cette femme orgueilleuse, mais Catherine était trop faible pour s'en étonner longtemps. Ce qui lui manquait le plus, c'était de n'avoir pas revu Gauthier. Elle savait qu'il était détenu dans la tour de l'est, et qu'il prenait son mal en patience, voire avec une certaine philosophie. Sa prison était propre, relativement saine, et il y faisait somme toute plus frais que dans le reste du château. On le nourrissait convenablement et il n'ignorait pas que son sort faisait partie d'un mystérieux marché qui devait se débattre entre Catherine et Gilles de Rais. Il se réservait seulement le droit de vendre chèrement sa vie si jamais on la lui demandait. Pour le moment, seule l'inaction lui pesait et ses geôliers visitaient chaque matin, soigneusement, sa cellule, afin de s'assurer qu'il n'avait pas commencé à démolir le château pierre par pierre. Cette visite était d'ailleurs faite régulièrement par une escouade de dix hommes tant la force du géant imposait le respect à ses gardiens. Cérémonie qui avait le don de déchaîner l'hilarité du prisonnier et qu'il suivait toujours en riant aux éclats. Certes, Gauthier ne se tourmentait aucunement pour son propre sort. Seul, l'état de Catherine parvenait à l'assombrir. C'était, bien entendu, Anne de Craon qui avait raconté tout cela à la jeune femme.
Pourtant, quand vinrent les premiers jours de septembre et que la chaleur, enfin, cessa, les malaises, aussi subitement qu'ils étaient venus, quittèrent Catherine. Elle put manger sans réclamer aussitôt une cuvette et, peu à peu, les forces revinrent. Le matin où le château se réveilla sous la première pluie, elle réussit à se lever, s'habiller et aller jusqu'à son miroir. Il lui offrit le reflet d'un visage amenuisé, presque tragique dans sa minceur, mais où les yeux, énormes, prenaient plus de valeur que jamais.
— Tu n'as plus que ça, des yeux !... grogna Sara qui laçait la robe de Catherine. Il faut reprendre des joues... et du reste, sinon ce bébé sera maigre comme un clou. On ne dirait pas que tu attends un enfant. Ta taille est demeurée celle d'une jeune fille.
— Sois tranquille, ça ne durera pas. Je me sens seulement encore un peu faible. Mais que cette pluie est donc agréable!
La pluie bienfaisante qui succédait à l'accablante chaleur allait se montrer aussi obstinée. Durant des jours et des jours, un rideau liquide enveloppa tout le pays, gonflant les ruisseaux ressuscités, reverdissant les champs roussis, transformant en fleuve de boue toutes les poussières de tous les chemins. Mais c'étaient de véritables trombes d'eau que déversait le ciel le soir où, sur la tour, le guetteur hurlant, soufflant dans sa corne à s'arracher les poumons, annonça à tous les échos que Gilles de Rais approchait de son château ancestral.
Aux appels de la trompe, le cœur de Catherine avait bondi dans sa poitrine. Malgré le jour tombant et les rafales de pluie, elle s'enveloppa dans une épaisse cape et grimpa sur le chemin de ronde. Nul ne prêtait attention à elle. Dans le château, brusquement réveillé de sa torpeur monotone, tout était en ébullition. Les soldats traînant leurs armes, les servantes portant des vêtements de gala et les valets se ruant, dans toutes les pièces avec des brassées de chandelles neuves, encombraient les couloirs, courant en tous sens. On ne s'occupait pas de Catherine qui, d'ailleurs, dans l'enceinte du château, pouvait aller où bon lui semblait.
Sur la tour de guet, le vent faisait claquer les bannières. Il s'engouffra dans la cape de Catherine quand elle sortit de l'étroit escalier. Hormis le guetteur penché au créneau, il n'y avait personne.
— Sont-ils encore loin ? demanda Catherine.
L'homme d'armes sursauta parce qu'il ne l'avait
pas entendue venir. La pluie dégoulinait de son chapeau de fer à l'ombre duquel disparaissaient ses yeux et son épaisse moustache. De son gantelet mouillé, il ébaucha un salut puis tendit le bras vers le fleuve.
— Voyez vous-même, Dame ! Les premières bannières arrivent le long de l'eau.
A son tour, Catherine se pencha entre les énormes merlons. L'avant-garde d'une puissante troupe serpentait, en effet, sur le chemin. Elle ne vit d'abord que des ombres confuses qui se confondaient avec celles de la nuit tombante et avec les brouillards du fleuve. Avec aussi les hachures noires des arbres. Elle distingua ensuite les bannières alourdies par l'eau qui les mettait en berne, l'éclat sourd des armes, et, plus loin, par-dessus les têtes de la piétaille, le moutonnement des chevaux et des cavaliers. Un appel de trompettes domina un instant le crépitement de la pluie dans les flaques d'eau et sur les ardoises des poivrières. Tendue de tout son être vers ces hommes qui approchaient, Catherine essayait désespérément de distinguer parmi eux une armure noire, la forme d'un épervier sur un casque, l'armure et l'emblème d'Arnaud... Mais la nuit tombait vite et, comme pour répondre à son angoisse, un corbeau survola la tour en jetant son cri désagréable.
— Dame, murmura le soldat, ne vous penchez pas tant ! Vous risquez de tomber.
Elle le rassura d'un sourire mais ne se redressa pas.
Autour d'elle, sa cape claquait dans le vent comme une voile mouillée. Bientôt, le pas des chevaux résonna, les appels de trompettes se firent plus clairs, les hommes plus nets. Catherine eut la sensation que, pour faire leur entrée, les soldats épuisés fournissaient un dernier effort, se redressaient. Les torses se bombaient, les échines courbées sous leur charge de fer reprenaient fière allure.
— Voilà monseigneur Gilles ! s'écria derrière elle le guetteur. Voyez, Dame, on reconnaît bien ses huques violettes. Il monte Casse-noix, son grand destrier noir.
Une fierté vibrait dans la voix de l'homme. Au même instant, le pont-levis s'abattit à grand fracas, libérant à la fois une énorme ovation et une troupe de soldats et de serviteurs qui, avec des torches et des cris de joie, couraient à la rencontre des arrivants. La cour intérieure du château était comme un immense puits de feu dont le rayonnement repoussait la nuit, rejetait la pluie. Le guetteur avait fini par s'accouder auprès de Catherine, les yeux brillants d'enthousiasme.
— Ah ! Il va y en avoir du bon temps, maintenant que monseigneur Gilles est rentré ! Il est dur mais il est généreux, lui, et il aime la vie joyeuse !
Dans ce « lui » il y avait un monde de rancune envers le vieux Craon. Catherine, pourtant, n'y prêta pas attention. Elle continuait à scruter les ombres. Mais les gouttes d'eau entraient dans ses yeux, les brouillant comme des larmes.
— Vous qui voyez si clair, dit-elle, pouvez-vous distinguer ceux qui entourent votre maître ? Pouvez- vous les reconnaître ?
— Certes, répondit le guetteur tout fier. Je vois messire Gilles de Sillé, le cousin de Monseigneur, et le sire de Martigné. Voici le frère de notre maître, René de la Suze, et voici messire de Broqueville...
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