- Il était inutile de vous déranger pour me le faire remarquer et il entrait dans mes intentions de m’éloigner mais un peu plus tard.
- Un peu plus tard pourrait être trop tard, et Monseigneur désire que vous ne différiez pas plus longtemps votre départ.
- Ah ! C’est Monseigneur ?
- Et qui d’autre ? Je ne me serais pas permis une telle démarche si les ordres ne venaient de lui. J’ajoute qu’il regrette profondément de ne pas avoir eu la possibilité de venir s’en entretenir avec vous avant de partir. Mais les choses se sont faites si vite !…
- Admettons ! dit la jeune femme d’autant plus agacée que l’autre prenait un visible plaisir à sa mission. Eh bien, c’est entendu, je m’en vais…
- Pour où ?
- Chez moi, naturellement ! A Hambourg ou au palais d’Agathenburg où je suis née… Non ?
Fleming venait en effet de hocher négativement la tête :
- Un enfant du sang de Saxe, même bâtard, se doit de naître en Saxe. Monseigneur a fait le choix de Goslar, dans le Harz. La ville est charmante, réputée pour ses eaux. Une résidence d’été idéale qu’ont toujours appréciée nos princes.
- Tellement qu’ils n’y vont jamais ! Il est vrai que c’est plutôt éloigné. La frontière doit être à deux pas ?
- Disons trois, susurra le chancelier avec un mince sourire. Il va de soi que vous n’habiterez pas le vieux palais, malcommode et trop vaste, et qui serait peu adapté à l’événement. On a loué pour vous l’une des plus belles maisons de la ville et sans doute la plus agréable. Elle appartient au bourgmestre Henri-Christophe Winkel. Lui seul connaîtra votre nom. Pour tous, vous serez une noble dame inconnue, venue soigner un mal… de langueur par exemple. Vous devez comprendre l’importance que le prince attache à ce que la naissance demeure secrète, surtout s’il s’agit d’un garçon. Cela pourrait poser dans l’avenir un problème de succession qu’il est salutaire de prévoir… J’ajoute qu’une voiture de la Cour vous conduira.
- Incroyable ! coupa Aurore que la colère envahissait. Tout Dresde sait que je suis enceinte et de qui ! Alors que venez-vous me parler de secret ?
- Il n’est pas si rare qu’une grossesse ne parvienne pas à son terme. En outre, après quelques semaines Dresde vous aura oubliée et n’aura d’yeux que pour l’héritier à naître. Plus tard vous pourrez revenir.
- Vous êtes bien bon !
- C’est Son Altesse qui est bien bonne, rectifia-t-il en prenant un air finaud qui ne lui allait pas. De toute façon, soyez assurée que l’on prendra grand soin de vous et de l’enfant s’il vient à terme. Vous trouverez à Goslar un médecin ainsi qu’une maison complètement équipée. Une femme de chambre suffira donc… à condition que ce ne soit pas Fatime. Trop voyante pour une petite ville. Elle demeurera ici avec le reste de vos gens…
- De mieux en mieux ! Puis-je au moins emmener ma sœur ?
- Ouuuuui ! Si elle se plie à la même discipline : ne sortir en aucun cas de la propriété. Mais je ne saurais que le lui déconseiller. Là-bas, il lui sera difficile d’avoir des nouvelles de M. de Loewenhaupt parti en guerre… Mais elle pourra vous écrire… aux soins du bourgmestre !
Fleming achevait à peine sa phrase qu’Amélie faisait son apparition, surprise que sa sœur reçût dans ce désert.
- Quand on doit recevoir les ordres d’un prince, il convient d’y apporter l’apparat désirable ! expliqua Aurore visiblement à bout de nerfs. Monsieur le chancelier est venu m’intimer celui de quitter la ville pour une autre au fin fond du Harz où je vais vivre cloîtrée en attendant la naissance. Et je n’ai même pas le droit d’emmener qui me plaît !…
Amélie l’embrassa et, la sentant trembler, garda un bras autour d’elle pour s’adresser à Fleming :
- Je pense que vous devriez vous retirer, Monsieur le chancelier, fit-elle avec sévérité. Vous n’avez plus rien à faire ici ! Soyez assuré que je ne manquerai pas de rendre compte à Monseigneur de votre zèle…
Il ne se trompa pas sur la raideur du ton, salua et sortit précipitamment cependant qu’Amélie entraînait sa sœur par une autre porte :
- Allons dans ta chambre ! Tu as besoin de te remettre.
Elle lui tendit son mouchoir mais Aurore n’avait pas de larmes. La fureur qui l’habitait les séchait avant que d’être nées, mais elle tremblait à présent de tous ses membres. Inquiète, Amélie la fit étendre, respirer des sels - qu’elle repoussa en marmonnant qu’elle ne s’évanouirait pas ! - et ordonna à Fatime d’aller chercher de l’eau-de-vie. Finalement, Aurore leva sur sa sœur un regard où le chagrin se mêlait à la colère :
- As-tu entendu quelque chose de ce qu’il a osé me dire ?
- Une bonne partie ! J’ai écouté à la porte avant de faire mon entrée au moment où il prononçait mon nom. Mais rassure-toi, je t’accompagnerai.
- Non ! C’est trop loin ! Tu serais coupée de ton époux, de tes enfant aussi, pendant plusieurs mois. Tu seras plus utile en restant ici à surveiller la maison. En outre, tu pourras peut-être me faire tenir des nouvelles…
- Aux soins du bourgmestre ? ricana Amélie. Ecoute, nous allons couper la poire en deux : je pars avec toi dans la voiture de la Cour et elle me ramènera. Ce que je veux c’est voir, de mes yeux, dans quelles conditions tu seras logée et comment sont les alentours. Chemin faisant nous pourrions convenir d’un code permettant sous des mots banaux d’en dire davantage. Et, par exemple, si tu souhaites écrire à quelqu’un je me chargerai de ta correspondance… Qu’en penses-tu ?
- Que tu es la meilleure sœur que l’on puisse avoir ! Et dans l’immédiat, il faut que je choisisse une autre camériste que Fatime…
- Cela aussi je vais m’en charger !
Elle repartit. Deux heures plus tard, Ulrica toujours aussi austère se matérialisait sur le tapis de la chambre. Véritable statue de la respectabilité, elle arborait cependant un œil frondeur qui ne résista pas longtemps à la vue de la tristesse de sa « nourrissonne » :
- Si vous voulez encore de moi, murmura-t-elle en reniflant son émotion, je m’occuperai de vous et de l’enfant et vous pouvez être sûre que je ferai bonne garde ! Je goûterai tous vos plats et le lait de la nourrice s’il le faut ! Et je…
Cette fois, Aurore se mit à rire :
- Je ne pense pas que l’on pourrait aller jusque-là ! Viens m’embrasser !
Au début de la semaine suivante, elle quittait Dresde sans avoir revu Elisabeth qui séjournait sur ses terres…
En annonçant que Goslar était une ville charmante, Fleming était largement en dessous de la vérité. C’était l’une des plus jolies cités d’Allemagne1.
Située sur les contreforts boisés du Harz, sertie dans ses remparts médiévaux, elle égrenait autour de vieilles églises une étonnante collection de maisons à colombages aux couleurs variées2 dont beaucoup possédaient des jardins. Le centre en était, comme d’habitude, la place du Marché qu’ennoblissait une imposante fontaine sommée de l’aigle impériale. La trace de l’empire se retrouvait aussi dans l’antique palais évoquant les temps héroïques des Burgraves et la légende des Nibelungen. Il se situait en dehors du centre névralgique de la cité, et la maison qui allait accueillir la future mère n’en était pas éloignée. Longtemps liée à la Ligue hanséatique, la cité devait ses richesses aux mines de cuivre, de zinc et d’argent ouvertes dans la montagne.
En temps normal, Aurore eût apprécié un cadre aussi séduisant. Elle y bénéficierait du calme nécessaire à son état ainsi qu’un décor plaisant à contempler, mais ce qui l’irritait c’était de s’y trouver en résidence surveillée, presque aussi captive que Sophie-Dorothée dans son humide château des brouillards. Le bourgmestre Winkel qui vint la saluer - discrètement - au soir de son arrivée ne lui laissa aucune illusion : elle n’avait pas le droit de sortir de la propriété dont les quelques serviteurs, triés sur le volet, ne savaient qu’une chose : ils devaient veiller sur une haute dame dont ils ignoraient le nom et faire en sorte que personne ne l’approche en dehors, bien sûr, de l’indispensable médecin - qui se trouvait être son beau-frère ! Quant aux visites, elles étaient interdites. Quiconque souhaitait lui porter une nouvelle importante devait d’abord en passer par lui. De même pour le courrier.
- Vous auriez mieux fait de me dire tout de suite que je suis prisonnière, Monsieur le bourgmestre ! soupira-t-elle, agacée.
- Ce n’est pas ainsi que vous devez voir les choses, rectifia-t-il avec une gentillesse inattendue. J’ai reçu mission de veiller sur… un trésor fragile auquel un grand prince attache le plus haut prix. Pardonnez-moi de m’en acquitter selon mes instructions, mais je tiens à ajouter que je suis à votre disposition pour apporter une solution à tout problème qui pourrait se présenter… et pour vous rendre ce séjour forcé aussi agréable que possible. Ce ne sera d’ailleurs pas si long ! Quelques mois sont vite passés !
Ce petit discours fit fondre les préventions de la jeune femme. Elle comprenait qu’elle avait affaire à un brave homme partagé entre l’orgueil d’avoir été choisi pour veiller sur elle et la crainte qu’elle ne fût malheureuse. Elle lui tendit la main :
- Essayons donc de les vivre au mieux ! Merci de vos bonnes paroles mais quelles sont vos instructions pour… après ?
- Je ne saurai le dire : elles ne me sont pas encore parvenues… Je suppose que vous nous quitterez ?
- Je le suppose aussi…
Dans les jours qui suivirent, Aurore chercha seulement à se reposer. Le voyage l’avait beaucoup fatiguée et, après le départ d’Amélie, un peu rassurée sur son sort, elle dormit le plus possible sous la garde vigilante d’Ulrica. L’air était excellent à Goslar, la maison charmante et le jardin ombragé et plein de fraîcheur, idéal pour supporter les lourdes chaleurs de l’été. On installa pour elle une chaise longue garnie de coussins en prenant la précaution de la mettre à l’abri des regards. D’ailleurs, le naturel mouvement de curiosité suscité par son arrivée tomba rapidement : on savait que la maison Winkel abritait une dame malade, venue prendre les eaux et confiée aux soins du docteur Trumph qui était bien l’homme le moins bavard de la terre. Quant aux domestiques - une cuisinière, un valet, deux femmes de service et un jardinier choisi par le bourgmestre en personne, ils étaient tous d’âge mûr, et l’imposante Ulrica n’eut aucune peine à en prendre la direction. Ils étaient discrets, silencieux au point qu’Aurore, la plupart du temps, ne s’apercevait même pas de leur présence. En revanche elle s’avouait que Fatime et ses mains si habiles lui manquaient. Moins pour les soins qu'elle apportait à l’éclat d’une beauté dont, pour le moment, elle n’avait que faire que pour sa connaissance des bonnes plantes jointe à ce talent d’apaiser les douleurs, les migraines et cette foule de petits maux de peu d’importance mais qui s’entendent si bien à vous gâcher la vie.
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