- En espérant seulement qu’il ne m’en chassera pas !
- Doux Jésus, Aurore ! Reprenez-vous ! Où est passée la guerrière, la chasseresse, la conquérante que nous connaissons tous ? Ne comprenez-vous pas ce que la venue de ce marmot peut signifier pour vous ? Le prince n’a-t-il pas déjà dit qu’il vous épouserait ?
- Certes, il l'a dit… une ou deux fois mais il n’a plus l’air d’y penser…
- Cela pourrait revenir ! Entre un mariage avec sa maîtresse et un avec la mère de son fils, il y a une grande marge…
- Vous croyez ? murmura Aurore à qui l’espoir relevait la tête avec la perspective inattendue que venait d’ouvrir son amie.
- Oh oui ! Et je vous aiderai. Dites-vous que la bataille débute ce soir. Il y a bal au Residenzschloss ! Vous y danserez parée de votre plus jolie robe et de votre plus beau sourire !
- Sûrement pas !… J’en suis incapable !
- Que si ! Pour l’instant reposez-vous, détendez-vous et ensuite au combat !
Si forte était la puissance de conviction que dégageait Elisabeth que la future mère déjà se sentit mieux. Non seulement elle put mener à bien sa toilette mais elle réussit à manger des tartines rôties avec du beurre frais, une poire d’hiver et un verre de vin. Le soir même, ainsi que l’avait prédit son amie qui d’ailleurs vint la chercher, ce fut la tête haute et le sourire aux lèvres, avec l’assurance d’une Montespan, qu’elle fit son entrée parée d’une sublime robe de satin blanc brodé d’or. A dire le vrai, elle se sentait tout de même un peu faible mais puisa un regain de force dans le regard plein d’orgueil dont l’enveloppa son amant…
Ils dansèrent ensemble et chacun admira, une fois de plus, le couple qu’ils formaient, et leur double révérence finale fut applaudie avec d’autant plus d’enthousiasme que Christine-Eberhardine n’assistait pas à la fête, retenue chez elle par l’un des nombreux malaises qui l’affligeaient avec une régularité suspecte : mais quelle femme éprise de son mari accepte joyeusement de le voir se pavaner avec une créature de rêve ?
Quelqu’un cependant, ne se joignit pas à l’admiration générale : adossé à une fenêtre, les bras croisés sur la poitrine, le nouveau chancelier Fleming attendait que la favorite fût allée s’asseoir dans le fauteuil qui lui était réservé non loin de la douairière Anna-Sophia pour rejoindre le cercle qui l’entourait et réclamer son attention :
- Après Monseigneur, vous inviter à danser serait de l’outrecuidance, Madame. D’autant que je ne brille pas dans cet exercice, mais j’aimerais infiniment bavarder avec vous. Ne fût-ce que pour faire connaissance ?
- C’est vrai, nous nous connaissons fort peu, mais je suis heureuse que l’occasion me soit donnée de vous féliciter, Monsieur le chancelier, pour votre récente nomination…
- C’est d’autant plus aimable à vous, Madame, que vous êtes liée d’amitié avec mon prédécesseur. Et comme la jeune femme approuvait d’un mouvement de tête et d’un sourire, il poursuivit : « Aussi ai-je tenu à vous faire savoir que je me sens porté à vous servir ainsi qu’il le faisait…
- Me servir ? Vous ? fit-elle sceptique car elle n’avait jamais éprouvé beaucoup de sympathie pour cet homme jeune et d’aspect plutôt agréable mais qu’elle devinait froid et calculateur.
- Pourquoi pas dès l’instant où nous établissons entre nous une sorte de traité d’entente ?… Mais je manque à la plus élémentaire courtoisie en ne vous demandant pas de nouvelles de votre santé ? Vous étiez souffrante ce matin, m’a-t-on dit ?
En dépit de son empire habituel sur elle-même, Aurore ne réussit pas à cacher sa surprise :
- Qui a pu vous dire cela ?
- Oh, je ne sais trop !… Un bruit ! Il en court tellement autour des princes, répondit-il avec un geste de la main qui se voulait désinvolte. Par exemple, un autre suggère que le nôtre pourrait faire rompre son mariage afin de vous donner auprès de lui la place que vous occupez dans son cœur.
La jeune femme fronça les sourcils. Où voulait-il en venir à la fin ?
- Je n’ai rien à dire sur ce sujet, fit-elle sèchement. Nous ne devons pas entendre les mêmes bruits vous et moi !
Il lui offrit un sourire plein d’aménité cependant que ses yeux demeuraient froids :
- C’est possible. Cependant il vaudrait mieux que ce dernier courant d’air disparaisse. Le roi de Pologne Jean Sobieski est en train de mourir. Nombreux vont être les prétendants à son trône vacant, mais les lois de nature comme celles de proximité placent en premier notre prince sur les marches du trône. Un divorce annihilerait toutes ses chances…
- Elles me semblent minces. Notre prince est luthérien et la Pologne catholique…
- Une couronne vaut bien une conversion, mais qui ne servirait pas à grand-chose si le mariage princier se trouvait brisé.
Aurore garda un moment le silence. Autour des deux interlocuteurs la fête battait son plein, cependant ses flonflons venaient se briser sur l’espèce de bulle qui enfermait le chancelier et la favorite. Celle-ci ouvrit son éventail et, sans regarder son voisin, murmura :
- Est-ce là tout ce que vous aviez à me dire, Monsieur de Fleming ?
- Presque. Il se peut que vous ayez les meilleures raison de souhaiter devenir princesse. Si vous y renonciez de vous-même, vous pourrez compter sur mon appui et…
Elle se leva si brusquement que, penché sur elle, il dut se rejeter vivement en arrière.
- Je ne crois pas en avoir besoin. Seul l’amour du prince donne du prix à ma vie. C’est à lui de décider ce que je dois en faire…
- Vous refusez mon amitié ?
- Certes non… Mais je ne veux pas l’acheter.
Elle se détourna pour rejoindre sa sœur, mais le prince s’interposa. Il la prit par la main pour l’entraîner à l’écart du bal. Il semblait très joyeux et elle crut un instant qu’il voulait danser encore, mais il lui fit quitter la salle et ne s’arrêta que dans sa chambre. Là, il la prit dans ses bras et enfouit son visage dans son cou :
- Chaque fois que je te vois, je te trouve plus belle, chuchota-t-il en laissant ses lèvres remonter vers celles d’Aurore. Ce soir tu es à damner un saint.
- Ce que vous n’êtes pas, Dieu merci ! souffla-t-elle, déjà pâmée.
Commencé de la sorte, l’entretien ne pouvait que se poursuivre à l’ombre des courtines pourpres du it où ils se laissèrent emporter par la vague de leur passion commune. Et ce fut seulement quand elle se retira, les laissant épuisés sur la plage soyeuse des draps chiffonnés, que Frédéric-Auguste demanda :
- Que voulait mon chancelier ? Vous avez parlé bien longtemps tout à l’heure…
- De quoi aurions-nous pu parler sinon de vous ?
- Mais encore ?
- Il me proposait une alliance afin de mieux vous servir, vous et le pays…
- Et qu’as-tu répondu ?
- Que cela allait de soi. Ne sommes-nous pas tous deux vos dévoués serviteurs ? répondit Aurore en se laissant glisser du lit pour se mettre à la recherche de ses vêtements. « Peut-être serait-il temps que vous retourniez au bal ? »
Il bâilla largement en s’étirant :
- S’il n’est pas fini il ne doit pas en être loin. Reviens près de moi !
- Non. Il est préférable que je rentre ! Vous-même, essayez de prendre du repos pour être dispos au Conseil. Autrement, votre chancelier en aurait de la peine.
En fait, elle n’avait plus qu’une hâte : regagner sa demeure. En effet, au moment où elle mettait pied à terre, un vertige avait failli la rejeter sur le lit. Redoutant ce qui ne pouvait manquer de suivre, elle s’habilla aussi vite qu’elle put et se précipita hors de la chambre en priant Dieu de lui éviter de s’évanouir avant d’avoir atteint la voiture. Elle eut juste le temps de s’effondrer sur les coussins, révulsée par la première nausée du, matin.. Les jours à venir allaient être difficiles à vivre…
Ils le furent plus encore qu'elle ne l’imaginait. Durant deux semaines, elle fut malade à mourir, dut garder le lit et fit condamner sa porte sous le prétexte d’avoir pris froid et d’en avoir tiré une mauvaise fièvre. Aucune visite n’était admise et surtout pas celle de Frédéric-Auguste, mais de ce côté-là elle n’avait pas grand-chose à craindre. Vaillant au combat, dur au mal quand il s’agissait de blessures, le prince avait une peur bleue de la maladie qui transforme l’homme en réceptacle de sanies aussi répugnantes que contagieux. Il ne vint donc pas, envoya des fleurs et s’en alla passer quelques jours dans le Harz pour y chasser.
Ce fut un immense soulagement pour Aurore. L’esprit plus libre, elle n’eut à s’occuper que d’elle-même et peu à peu les désagréables manifestations de sa future maternité parurent diminuer. Elle put se lever, s’habiller et quitter enfin sa chambre pour s’installer dans le cabinet attenant où elle aimait à se tenir pour écrire, broder ou chantonner en s’accompagnant à la guitare et en regardant les flammes danser dans la cheminée.
C’était justement à cela qu’elle s’occupait quand un vacarme éclata dans la maison, mais elle n’eut pas le loisir d’allonger le bras pour attraper la sonnette. Violemment poussée, la double porte livra passage au dieu des tempêtes, Frédéric-Auguste en personne, tout fumant de colère et tout crotté par la chevauchée forcenée qu’il venait de mener à travers la campagne détrempée par trois jours de pluies incessantes. Et visiblement d’une humeur massacrante. Rejetant la guitare qui protesta plaintivement, il saisit les deux mains d’Aurore et la mit debout :
- Oh, Monseigneur, quelle joie… commença celle-ci, pensant qu’il allait l’embrasser mais il n’en fit rien, lâcha l’une de ses mains et se servit de l’autre pour la faire pivoter tandis qu’il l’examinait.
- Vous êtes grosse n’est-ce pas ? clama-t-il en dardant sur elle un œil furibond. Et n’essayez pas de mentir !
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