» - Le gibier rentre au gîte ! On attend un peu et on y va !
» Pendant quelques secondes il conféra avec trois hommes qui étaient derrière lui. Au même instant, des torches s’allumèrent ici et là. L’une d’elles se retrouva dans le poing du forgeron et je profitai du remous pour disparaître. Ce qu’ils se préparaient à faire était évident pour moi : mettre le feu à « Monplaisir » et si possible quand les maîtres y seraient !… Je n’avais rien contre mais j’avais laissé mon cheval sellé à l’écurie et il fallait que je l’en sorte avant que la vague ne déferle. Mon bagage, je l’avais porté dans la journée à l’auberge Kasten où mon valet Josef se morfondait depuis des semaines… J’y courus et arrivai là-bas juste à temps pour voir les Platen regagner leur logis… L’attaque n’allait pas tarder. Aux écuries, je trouvai le chef palefrenier debout et lui conseillai de libérer les chevaux. Quand on incendie une demeure, il est bien rare que l’on s’arrête aux dépendances. Et une rumeur montait déjà du fond de la nuit… Cet homme me demanda si je partais. Je lui répondis que oui et lui conseillai d’en faire autant, ajoutant que le peuple en voulait uniquement aux Platen. De vous à moi, je me tenais prêt à lui sauter dessus s’il faisait seulement mine d’aller donner l’alarme. Mais il se mit à rire alors en disant que ce n’était pas trop tôt et se précipita pour lâcher l’écurie entière dans le parc de Herrenhausen. Je le suivis et cherchai un point d’où l’on pourrait voir ce qu’il se passerait. Juste à temps : le forgeron et ses justiciers déferlaient sur le château. Ils avaient marché en silence jusqu’à ce qu’ils soient à proximité, puis une clameur éclata et les torches s’envolèrent, tellement nombreuses que les domestiques n’essayèrent même pas de lutter. Ils s’enfuirent et, quand je revins vers l’auberge, les flammes de « Monplaisir » embrasaient la nuit. Un terrible spectacle. C’était comme si la terre venait de s’ouvrir pour laisser jaillir les reflets de l’enfer…
Un silence suivit la conclusion du récit. La vive imagination d’Aurore lui avait permis de visualiser ce qu’Asfeld lui relatait. La fin illumina son visage :
- Ils sont morts ? murmura-t-elle. Mais si vous êtes parti immédiatement après le feu, vous ne le savez peut-être pas ?
- Vous pensez bien que j’ai attendu. A l’auberge j’avais repris mon nom et mon apparence et dès le matin il n’était bruit que de l’incendie. « Monplaisir » est détruit aux trois quarts… mais eux sont à peu près saufs.
- A peu près ?
- Ils sont vivants, sauf que lui a perdu la vue et qu’elle est brûlée au visage et aux épaules. Elle n’est pas belle à voir, d’après Hilda Stohlen qui a pu l’apercevoir…
- J’imagine qu’après cette action l’Electeur a ordonné des châtiments exemplaires pour les incendiaires ? fit Aurore avec amertume.
- Non. Les meneurs se sont livrés d’eux-mêmes. Mon ami le forgeron a déclaré hautement au nom du peuple qu’il respectait et honorait ses princes mais qu’il ne supportait plus la mainmise des Platen sur le Hanovre. Il aurait dû être pendu : l’Electeur s’est contenté de l’incorporer avec deux ou trois autres dans le bataillon qu’il prépare pour le louer à l’empereur…
- En vertu du principe qu’un homme mort ne rapporte rien tandis qu’un soldat vigoureux se vend bien ? ricana Aurore. Ils ne reviendront sans doute pas mais ils auront enrichi leur bon souverain. Cela dit, je suis contente que ces gens courageux aient échappé à la corde. Partir pour Vienne leur évitera la vengeance des Platen !
Pour la première fois depuis son arrivée, Nicolas eut un large sourire :
- De ce côté-là, il n’y avait pas de crainte à avoir. L’Electrice Sophie et son fils se sont fait entendre pour exiger leur départ. Pour ce que j’en sais, ils n’ont eu guère de peine à l’obtenir : le vieil homme est fatigué. Peut-être aussi de la férule d’une maîtresse par trop envahissante et devenue affreuse. Le couple aurait reçu l’ordre de se retirer dans une terre qu’il possède je ne sais où. Et ils ne sont plus rien.
Aurore joignit les mains comme pour une prière. Ne convenait-il pas de remercier Dieu d’avoir enfin abattu ces gens, cette femme surtout qui avait été le mauvais génie de Philippe, qui l’avait volé de façon honteuse mais qui détenait sans doute encore la clé de sa disparition. Y aurait-il un espoir de la faire parler maintenant qu’elle ne disposait plus de cette armée de serviteurs et d’espions grâce auxquels son pouvoir s’étendait telle une griffe sur le pays et sur son prince ?
- C’est une nouvelle merveilleuse que vous m’apportez là, Nicolas, et je vous en sais un gré infini, mais vous devriez la compléter en y ajoutant le nom de l’endroit où l’on peut les trouver. J’ai besoin qu’elle parle, vous comprenez ? J’ai besoin de savoir ce qu’elle a fait de mon frère. Je suis sûre que tout le mal vient d’elle…
- Moi aussi j’en suis sûr, mais l’endroit où ils se sont retirés relève du secret d’Etat ! Et, comme Aurore ouvrait la bouche pour protester : « L’Electeur l’a voulu ainsi, peut-être dans un ultime souci de protéger celle qu’il a aimée à la folie. Vous n’êtes pas sa seule ennemie, tant s’en faut. Quant à moi et avant de prendre congé, il me reste à vous remettre ceci. »
D’une poche intérieure de son habit, Nicolas sortit un sachet de peau dont il fit couler le contenu sur la table couverte d’un brocart blanc où il fit naître une tache de sang. Un sang singulièrement brillant, car il se mit à jeter des feux sous la lumière du candélabre voisin. Aurore eut un cri :
- Le rubis « Naxos » !… Mon Dieu, comment avez-vous pu le reprendre ?
- C’est simple. J’ai attendu que la Platen sorte pour se rendre à ce dernier festin qui a causé sa perte et, renseigné par Ilse, je savais où étaient ses bijoux et j’avais réussi à apprendre la manière d’ouvrir l’armoire où elle les cachait, je n’ai eu qu’à me servir, mettre mon butin dans une écharpe de soie, en faire un paquet qui a pris aussitôt le chemin de mes sacoches puis celui de l’auberge Kasten.
- Vous avez tout emporté ?
- Uniquement le rubis et les pièces dont la duchesse Eléonore m’avait donné la description parce qu’elles étaient celles de sa fille. J’ai laissé le reste et vous n’imaginez pas à quel point ce fut facile ! Tous les serviteurs de « Monplaisir » s’étaient précipités au Leineschloss sur les pas de leur maîtresse pour voir le spectacle. Evidemment, j’ai dû abandonner ceux que la femme portait sur sa tunique à la romaine, mais ils ne m’intéressaient pas parce qu’ils étaient récents : elle s’était fait faire pour la circonstance un diadème et des girandoles.
Occupée à caresser le joyau qu’elle avait pris dans ses mains, Aurore toute à sa joie écoutait d’une oreille distraite. Pourtant elle remarqua :
- Et durant plusieurs jours, vous avez gardé un tel trésor dans une auberge ?
- Je ne vois pas où est la difficulté dès l’instant où les Platen étaient effacés du paysage ? Sans l’émeute je serais parti plus tôt et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu assister à cette pitrerie. Il me fallait être certain que le couple avait atteint ce degré d’ivresse où l’on ne voit plus clair. C’était une affaire sûre avec eux, à cette différence près que selon les circonstances cela demandait plus ou moins de temps… Ah, j’ajoute que j’ai remis les autres joyaux à la duchesse Eléonore. Elle doit vous en parler dans sa lettre. A présent, il se fait tard et je vous laisse vous reposer… Je vais me chercher un logis… On m’a recommandé une excellente hôtellerie place du Marché ?
- J’aurais préféré vous héberger mais vous avez raison lorsque vous dites que ce ne serait guère raisonnable. Allez-vous rester plusieurs jours ?
- Un ou deux : le temps de prendre du repos… et d’attendre vos ordres si vous en avez.
- Mes ordres ? Je ne suis plus en mesure de vous en donner, répondit la jeune femme avec mélancolie. D’ailleurs, en donne-t-on à un ami ? Je me contenterai de vous faire porter mes réponses à ces deux lettres, si vous acceptez de vous en charger ?
Elle lui tendit sa main sur laquelle il s’inclina pour y poser ses lèvres, visiblement trop ému pour parler, et se dirigea vers la porte. Qu’il n’eut pas le temps d’ouvrir. Elle le fit d’elle-même en apparence mais avec une telle violence qu’il faillit la prendre en pleine figure tandis que s’y encadrait la gigantesque silhouette de Frédéric-Auguste, à l’évidence furieux et soufflant le feu par les naseaux. Sa voix tonna au point de faire tinter les cristaux bohémiens du lustre :
- Un homme chez vous à cette heure de la nuit ? En vérité, Madame, vous faites bon marché de mes ordres !
Si elle s’était sentie pâlir devant une entrée aussi fracassante qu’inattendue, Aurore savait trop bien se contrôler pour montrer la moindre crainte. Qui lui eût été fatale. Sa révérence fut un modèle de calme, de grâce sereine qu'elle accompagna d’un léger sourire :
- Votre Altesse a le génie des coups de théâtre, Monseigneur. C’est un signe de la spontanéité que j’ai toujours admirée chez elle. Cela dit, je ne me souviens pas qu’elle m’eût fait l’honneur de me donner des « ordres ».
- Ce sont vos gens qui les ont reçus. A vous, je m’étais contenté de recommandations dont vous vous êtes empressée de faire fi ! Qui est cet homme ?
- Le baron Nicolas d’Asfeld, des gardes de Mme la duchesse de Celle… et un mien cousin. J’ajouterai, afin d’éviter à Votre Altesse la peine de poser la question suivante, qu’il est venu me rendre compte d’une mission à lui confiée par la duchesse Eléonore et votre servante.
- Une mission ? Vraiment ? Et peut-on savoir où ?
- A Hanovre ! Votre Altesse Electorale peut en voir le résultat : ces deux lettres - l’une de la duchesse, l’autre de mon amie la baronne Berckhoff - et regardez !…
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