- Ne dites pas de sottises ! C’est la fumigation… Cela dit, que pensez-vous de cette mauvaise lettre ?
- Ce que je pensais déjà de la première : que sa destination naturelle est dans le feu.
- Je n’en suis pas sûre ! Celui qui l’envoie me paraît en savoir long. A commencer par le fait que… qu’il n’est pas venu hier soir !
- Ne bâtissez rien là-dessus ! Ce n’était pas difficile à deviner. Même moi qui n’ai pas quitté ce lit, je le sais et vous ne me ferez pas croire que vous ignorez qu’il y avait fête au palais en l’honneur de notre princesse électrice…
- … et que je n’y avais pas ma place. Natu rellement, je suis au courant, mais les réjouissances ont-elles duré jusqu’au matin ? Et même en ce cas, il lui est déjà arrivé de me surprendre à l’aube. Il m’a dit souvent qu’une journée ne pouvait être bonne si elle n’avait commencé par l’amour…
Elisabeth glissa hors de ses draps pour venir plus près de son amie qu’elle enveloppa d’un bras compatissant :
- Ne me dites pas qu’il n’y a jamais manqué ? Par exemple après s’être soûlé royalement au point de ne pouvoir regagner son lit sans le secours de ses valets ? Je l’ai vu de mes yeux ! J’ajoute que les Brandebourgeois ont une rare capacité d’absorption et il se devait de les accompagner !… Allons, cessez de vous tourmenter ! Allez plutôt vous regarder dans la glace, c’est le meilleur réconfort que je puisse vous suggérer. Frédéric-Auguste est fou de vous et ne manquera pas de vous en faire souvenir avant que le soleil se couche.
- Il faudrait pour cela qu’il commence par se lever ! Il neige…
CHAPITRE XI
DES NOUVELLES DE CELLE
Frédéric-Auguste était parti pour Leipzig et Aurore s’ennuyait. C’était la première fois qu’il partait sans elle, alléguant le temps affreux et les mauvais chemins.
- Vous serez beaucoup mieux au chaud de votre maison, lui avait-il assuré en l’embrassant. Et moi je serai plus tranquille…
Plus tranquille ou plus libre ? Le second mot eût été malsonnant mais Aurore n’aimait pas beaucoup plus le premier. Jamais, jusqu’à présent, il n’avait été question de tranquillité entre eux. Le vent, l’orage, la tempête, voire l’ouragan, oui ! C’était leur climat normal, celui de la passion coupée parfois de fous rires, chacun d’eux possédant un égal sens de l’humour bien que celui du prince fût plus cruel que celui de sa favorite. Mais la tranquillité, non, cent fois non !
Sachant à quel point il détestait la contradiction, elle n’avait pas insisté quelque envie qu’elle en eût… Avec une belle inconscience masculine, il lui avait recommandé de se reposer, d’éviter de sortir le soir, sinon avec sa sœur, et aussi de donner à souper ou à danser chez elle durant son absence. Cette fois elle avait réagi : il allait tout de même un peu trop loin.
- Que ne m’enfermez-vous dans un couvent ? Je ne suis pas malade et n’ai aucune raison de rester cloîtrée ?
- Certes, certes, mais je n’aime pas trop, pendant mon absence, que le monde vous envahisse. Cela vous oblige à vous parer et je n’ignore pas qu’ils sont nombreux, ceux qui souhaitent vous approcher de plus près ! Promettez-moi d’être très sage, de ne penser qu’à moi ! J’ai besoin de vous sentir tout contre moi, ajouta-t-il en l’enlaçant pour un baiser qu’elle évita en détournant la tête :
- Que ne m’emmenez-vous alors ? fit-elle, logique.
- Je vous ai donné mes raisons ! répondit-il sans insister. N’oubliez pas que vous êtes à moi et qu’un seul regard masculin sur votre gorge m’est une offense !… Je vous rapporterai des fourrures !
Il était parti là-dessus, la laissant désorientée par ce mélange de jalousie - on ne pouvait l’interpréter autrement ! - et de sens aigu de la propriété. Ce fut pis encore quand elle apprit qu’il avait donné des ordres à son portier : aucun homme, hormis les fournisseurs, ne devait être autorisé à pénétrer auprès de la comtesse de Koenigsmark, et ce jusqu’à son retour.
- Que ne me fait-il porter une ceinture de chasteté ? déclara-t-elle à Elisabeth qui prit le parti d’en rire :
- C’est plutôt flatteur, cette jalousie ! Elle rend hommage à votre beauté. Il est vrai que depuis le début de vos amours, elle atteint un éclat incroyable qu’il n’a pas envie d’étaler à Leipzig où règne une atmosphère de foire perpétuelle.
- Insensé ! J’en viens à penser qu’il a pris au sérieux ce rôle de sultan qu’il interprétait à Moritzburg lorsque, selon la tradition des maîtres de harem, il m’a lancé le mouchoir. Vais-je devoir vivre cloîtrée en compagnie d’autres femmes parmi lesquelles il viendrait choisir chaque soir sa compagne de lit ?
- Même si l’idée aurait de quoi le tenter, il n’ira jamais jusque-là. N’oubliez pas qu’il est chrétien ! Allons, ne vous fâchez pas et acceptez avec le sourire ce caprice qu’il vous impose. Vous en rirez tous les deux plus tard… il ne va pas rester absent pendant dix ans !
- Cela va être d’un drôle !
Il ne lui fallut que deux jours pour s’ennuyer, en dépit des soins de Fatime qui employait ce repos forcé en multipliant les bains, les longs massages et les soins minutieux usités justement dans ces harems que sa maîtresse redoutait tellement.
- Quand le maître reviendra, il faut qu’il te trouve encore plus belle et désirable qu’à son départ. Chasse les mauvaises pensées et laisse ton corps s’épanouir comme une rose qui, en s’ouvrant, libère ses parfums ! Il en sera plus que jamais captif…
C’était au fond assez agréable à entendre même si ce n’était guère enrichissant pour l’esprit. Fatime n’avait pas tort d’affirmer qu’il fallait profiter de ce temps libre. Lorsque le prince était là, Aurore devait toujours être prête à le suivre n’importe où et à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Aussi accepta-t-elle de se laisser soigner, meublant le reste de ses loisirs avec des livres à moins qu’elle ne composât des vers - elle savait en faire de ravissants ! - ou jouât aux échecs avec Elisabeth à qui elle avait d’ailleurs proposé d’expérimenter les services de la jeune Turque…
Ce soir-là, qui se situe une semaine après le départ du prince, Aurore allait se coucher quand elle entendit tinter la cloche d’entrée. Allant à la fenêtre pour voir ce qu’il en était, elle aperçut dans l’encadrement du portail ouvert et la lumière jaune du portier un cavalier qui mettait pied à terre. C’était un voyageur sans doute, si l’on en jugeait par les sacoches et l’ample manteau destiné à couvrir la croupe du cheval. Elle le vit parlementer avec Joachim le concierge qui, bien entendu, refusait de le laisser entrer, fidèle en cela à ses consignes : pas d’hommes et surtout pas la nuit ! Cependant, quelque chose dans la tournure de l’arrivant éveillait un souvenir chez la jeune femme et, comme le portail allait se refermer sur l’inconnu, elle l’entendit soudain entamer le grand air d’Orphée et n’y tint plus : ouvrant sa fenêtre, elle cria :
- Oubliez les consignes, Joachim et faites monter ce monsieur !
- Mais, madame la comtesse, Monseigneur a expressément spécifié qu’aucun mâle…
- Cela ne concerne pas ma famille ! Faites monter, vous dis-je. J’en prends la responsabilité…
Les mains tremblantes de joie, elle referma le panneau vitré et se précipita vers l’escalier. Nicolas ! Ce ne pouvait être que Nicolas ! Enfin elle allait savoir quelque chose ! Elle avait l’impression merveilleuse qu’une grande bouffée d’air frais lui arrivait. Relevant sa robe à deux mains elle dévala les marches à toute allure, si vite qu’elle tomba presque dans les bras du nouveau venu qui la retint de justesse. Mais ce geste ne prêtait pas à conséquence puisqu’elle l’avait annoncé « de la famille ».
- Nicolas ! Quelle surprise ! Dieu que je suis heureuse !…
- Je… Moi aussi… ma cousine !
Elle l’embrassa sur les joues sous l’œil pas tellement rassuré de Joachim, puis l’entraîna pour le faire grimper à l’étage tout en criant que l’on prenne soin du cheval et que l’on monte de la nourriture et du vin chaud ! Un valet apparut au bruit, prit les ordres et courut aux cuisines, cependant qu’Aurore introduisait le jeune homme dans son cabinet d’écriture. Elle lui laissa à peine le temps d’ôter son épais manteau craquant de neige et le tricorne noir où les flocons commençaient à fondre, et confia l’ensemble à Fatime en lui recommandant de ne pas les déranger. Enfin, désignant un fauteuil placé près d’une petite table, elle invita Nicolas à s’asseoir. Alléguant le protocole, il voulut refuser mais elle insista :
- De quoi aurions-nous l’air si vous vous adressiez à moi comme à une altesse quelconque ?
- On dit que vous pourriez le devenir ? Même sur les routes on en parle et le bruit court d’un divorce de l’Electeur Frédéric-Auguste en votre faveur…
Aurore fronça le sourcil. Où diable avait-il pu pêcher cela ? Qui expliquait peut-être une attitude plus empesée encore qu’au jour de leur première rencontre.
- Laissons ces racontars, si vous le voulez bien. Vous arrivez de Celle ou de Hanovre ?
- De Celle où j’ai appris votre haute position. J’ai d’ailleurs une lettre de Mme la duchesse et une autre de la baronne Berckhoff, répondit-il en produisant les deux messages. Aurore les prit et les posa sur un meuble en disant qu’elle les lirait plus tard.
- Ce que je veux savoir, c’est ce qui s’est passé à Hanovre durant votre long séjour. Vous êtes revenu depuis quand ?
- Environ un mois.
- Et vous venez seulement maintenant ?
Elle dut s’interrompre : Fatime que la curiosité devait dévorer revenait avec un plateau si chargé qu’elle pliait sous le poids. Aurore lui ordonna de poser le plateau sur la table et de disparaître sur un ton ne laissant pas de place à la discussion. Puis elle servit elle-même son visiteur qui ne se départait pas de son attitude guindée. Elle le laissa se restaurer jusqu’à ce que, jugeant que c’était suffisant, elle revienne à la charge :
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