« - S’il me vient aux oreilles que vous tentez de l’aider en quoi que ce soit, m’a-t-il dit, vous aurez le choix entre repartir pour la France et rejoindre cette fille dénaturée dans le logis qu’on lui destine ! »
- Et c’est cela le plus odieux, soupira la duchesse à présent en larmes. Le divorce est prononcé avec interdiction de se remarier alors que Georges-Louis pourra reconvoler quand il voudra. Les enfants sont enlevés à leur mère qui ne les reverra plus. Enfin, puisqu’elle tenait tellement à quitter Hanovre, elle vivra désormais sur notre territoire de Celle mais sous surveillance étroite et dans un lieu dont elle n’aura le droit de sortir que pour une promenade quotidienne et sous bonne escorte. Naturellement, elle n’a le droit de recevoir personne. Sauf son père… et moi à condition qu’il y consente, et quiconque tentera de l’approcher le paiera de sa tête !
Un pesant silence envahit la pièce. La duchesse Eléonore sanglotait sans plus de retenue et ses deux compagnes semblaient frappées par la foudre. On n’entendait que le crépitement du feu et les pleurs de cette mère écrasée de douleur.
Aurore et la baronne réagirent au même instant. Pendant que la seconde à genoux devant sa maîtresse lui parlait doucement en essuyant ses larmes, la première osa demander :
- Sait-on quel est ce lieu ?
- Ahlden !
- Oh non !
Le cri de protestation, c 'était la baronne qui l’avait poussé. Ses mains se joignirent devant sa bouche et comme Aurore tournait vers elle un regard interrogateur, elle expliqua :
- C’est aux confins du duché l’endroit le plus déshérité des landes de Lunebourg. Une forteresse des bords de l’Aller régnant sur une terre noire faite de graviers jamais séchés. Rien n’y pousse sinon de maigres champs de sarrasin. Des murs rébarbatifs avoisinant un village minable où vivent quelques paysans rudes dont certains ont travaillé dans les mines de sel… Oh, mon Dieu ! Il n’est pas possible qu’on l’envoie dans un tel lieu !
La duchesse tira son mouchoir, se moucha, ce qui étancha un peu ses larmes, puis fit entendre un ricanement encore plus triste :
- C’est tellement possible que mon époux vient d’ériger ce désert en duché ! Car ne vous y trompez pas, ce n’est pas une prisonnière que l’on y expédie mais une suzeraine ! Elle y aura des serviteurs, une garde de quarante soldats, et l’on va aménager les lieux autant que faire se pourra ! Pas de paille humide des cachots ! Pas de fers ! Des tapis, des meubles et des vêtements conformes à son nouveau rang ! Ce serait risible si ce n’était si tragique ! Ma pauvre petite ! Si le chagrin ne la tue pas, Ahlden s’en chargera… Donnez-moi à boire, Berckhoff !… Quelque chose de fort !
Elle avait pâli tout à coup et, les yeux fermés, se laissait aller contre le dossier de son fauteuil… La baronne remplit vivement un verre d’eau-de-vie et le lui porta :
- Vous êtes souffrante, Madame ! Tout cela est trop pour vous !…
- Ce n’est rien !… Mes nerfs je pense. Cela va passer.
Elle but une gorgée prudemment, puis vida le verre d’un seul coup et se redressa :
- Je dois rentrer à présent.
Son malaise qui la laissait décolorée et légèrement tremblante lui avait fait oublier Aurore. Celle-ci se rapprocha en la voyant se lever :
- Votre Altesse a-t-elle oublié qu’elle m’a fait venir de Hambourg ? Elle doit avoir une raison ?
- C’est vrai ! J’avais oublié. Pardonnez-moi, comtesse ! C’est dû à l’angoisse qui m’étreint… dit-elle en se rasseyant. En outre, l’importance de certaine disparition s’est amoindrie devant le drame qui nous frappe. Lorsque nous avons fouillé les appartements de ma fille - de Son Altesse Sérénissime la princesse héritière électorale de Hanovre ! cracha-t-elle dans une soudaine poussée de fureur - on s’est aperçu qu’il manquait la part des bijoux qu’elle avait apportés en se mariant, qui lui étaient donc les plus chers, plus le collier de diamants offert par son époux à la naissance de son fils. On suppose qu’elle les a remis à votre frère puisque apparemment elle s’apprêtait à fuir avec lui. Je voulais vous demander de me les rendre afin que je puisse les lui restituer ou tout au moins les utiliser pour la sortir de ce… de cette impasse…
- Encore faudrait-il que je les aie ! Puis-je vous rappeler, Madame, que mon frère a disparu et qu’il serait mort de manière si mystérieuse que nul n’est capable de révéler ni où ni de quelle façon ? Son assassin ou celui qui l’a fait enlever devrait pouvoir répondre à votre question, émit la jeune fille avec amertume. Mais puis-je savoir comment Votre Altesse a eu connaissance de ces joyaux envolés ? Je croyais le silence absolu établi depuis le 1er juillet entre sa cour et celle de Hanovre, la princesse Sophie-Dorothée étant au secret !
L’hésitation de la duchesse fut sensible. Elle tourna la tête pour fixer son regard sur sa dame d’honneur comme pour lui demander son aide, mais celle-ci ne réagit pas… Elle se résigna :
- J’ai surpris une conversation entre le prince, mon époux, et notre chancelier Bernstorff. J’ai appris ainsi que celui-ci entretenait depuis longtemps des relations amicales avec le comte et la comtesse de Platen. Cette femme aurait été autorisée par l’Electeur Ernest-Auguste à faire fouiller l’appartement de sa belle-fille.
Une brusque colère enflamma Mlle de Koenigsmark :
- Les gens d’une putain reconnue autorisés à plonger leurs mains sales dans les affaires d’une princesse héritière ? Et le duc de Celle a admis cela ? Et Votre Altesse ne s’en est pas indignée ?
- Je n’étais pas censée entendre, je vous le répète. Quant à mon époux, seule l’indisposait, hélas, la disparition des joyaux.
- Auxquels en étaient joints d’autres, peut-être plus précieux encore, appartenant à ma famille comme le gros rubis « Naxos » offert par le doge de Venise, Francesco Morosini, qui venait d’être investi du pouvoir suprême alors qu’il commandait les troupes vénitiennes dans le Péloponnèse. La pierre a été remise à notre oncle, Othon-Wilhelm, dit « Conismarco », en remerciement des services éminents rendus par lui durant la campagne et du sang qu’il avait versé. Le joyau, sublime, provenait du trésor ottoman mais Morosini aimait comme un frère cet homme dont la vaillance égalait la sienne et c’est sa main auguste qui, un peu plus tard, lui a fermé les yeux au mépris de la contagion quand la peste l’a emporté devant Modon. Lui encore qui prit soin de ses biens et ordonna qu’ils fussent remis à mon frère, Philippe.
Le paisible et riche décor de la noble demeure s’effaça soudain à l’appel de cette voix orgueilleuse, laissant entrer la splendeur de la mer sous le soleil, le fracas des combats entre galères de pourpre et d’or dont les voiles et les flammes claquaient dans le vent…
Il y eut un silence, peuplé seulement par la respiration haletante d’Eléonore de Celle :
- Comment, murmura-t-elle enfin, pouvez-vous savoir que ce joyau avait rejoint ceux de ma fille ?
Aurore tira de son justaucorps la lettre de Philippe :
- J’ai reçu ceci… mais j’ajoute, afin que Votre Altesse ne se réjouisse pas trop vite, que le banquier Lastrop jure sur la Bible de ses pères n’avoir rien reçu d’autre que ce message. Le chargement ne lui est jamais parvenu.
La duchesse parcourut avidement le texte et s’exclama :
- Quatre cent mille thalers ? Mais c’est fou ! Je ne pense pas que notre trésorerie en possède la moitié et l’on disait le comte Philippe ruiné…
- Il voulait peut-être qu’on le croie. Mon sentiment est que l’héritage qu’il est allé chercher à Venise était vraiment très important…
- Et vous n’avez pas connaissance que ce que cette fortune est devenue ?
- Non, mais j’ai l’intention de me renseigner. Quand M. d’Asfeld m’a porté la lettre de Votre Altesse j’avais déjà décidé de me rendre à Hanovre sous ce déguisement.
- C’est de la folie ! jeta la baronne Berckhoff. Si vous étiez reconnue vous risqueriez…
- … de rejoindre mon frère dans sa prison ou dans la mort ? Chère baronne, c’est ce que je désire le plus au monde. Cela ne me causerait donc aucune peine. Mais auparavant, je souhaite apprendre ce qu’il est advenu du secrétaire de mon frère, Michel Hildebrandt. Il m’a rapporté tous ses effets personnels mais n’a pas fait la moindre mention du chargement en question.
- Peut-être l’ignorait-il ? Un secrétaire sert habituellement à écrire des lettres. Or vous dites que celle-ci est de la main du comte Philippe. Imaginez qu’il se soit méfié de lui ? Dans ce cas il est suspect au premier chef.
- J’y ai pensé, admit la jeune fille. D’autant plus qu’il n’a répondu à aucun de mes appels, aucune de mes lettres. Aussi dois-je me rendre impérativement à Hanovre… quel que soit le danger ! J’ai besoin de savoir !
- Ce que je peux comprendre, coupa la duchesse, son calme revenu. Et je vais vous aider. Entrer seule dans la ville, même sous cet aspect, est une folie. Il vous faut un compagnon… et un asile ne serait-ce que pour un seul jour.
- Oh, fit la baronne en souriant, je crois que le compagnon est tout trouvé : j’ai l’impression que le jeune Asfeld tomberait malade si Votre Altesse désignait quelqu’un d’autre.
- Il m’agace ! trancha Aurore. Il me surveille comme si j’était un pot de lait posé sur le feu ! répéta-t-elle.
- Sans doute en fait-il un peu trop, mais cela tient à ce qu’il est amoureux de vous, dit Charlotte Berckhoff. Je m’étonne que vous ne l’ayez pas remarqué ?
- Si… bien sûr, mais je crois que c’est ce qui m’irrite. C’est un benêt…
- Certainement pas, vous pouvez en être persuadée ! Cependant je reconnais qu’en face de vous, il a tendance à perdre tous ses moyens. Traitez-le avec quelque douceur et il s’épanouira comme une fleur au soleil.
"Aurore" отзывы
Отзывы читателей о книге "Aurore". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Aurore" друзьям в соцсетях.