Sa physionomie aimable et douce d'homme des salons se durcissait. Les yeux assombris la détaillaient avec avidité. Il se demandait de quelle couleur pouvaient être ses cheveux qu'elle cachait sous son sévère bonnet de lingerie : blonds, châtains, roux comme ceux de sa fille, bruns, peut-être, comme son teint chaud semblait l'annoncer.
Ses lèvres étaient nacrées. Elles rappelaient la splendeur discrète des coquillages.
II était dans un tel état que, sans la présence d’Honorine qui, le nez en l'air, les observait l'un et : l’autre, il l'aurait prise de force dans ses bras et il aurait cherché à éveiller son désir.
– Partons, dit-elle, en l'écartant poliment. Vous êtes fou, en effet, et je ne crois pas un mot de ce que vous racontez. Vous avez certainement connu des femmes plus brillantes que moi, et je crois que vous voulez abuser de ma naïveté, monsieur le lieutenant du Roi.
Nicolas de Bardagne la suivit la mort dans l'âme, conscient lui-même de tout ce que sa déclaration pouvait avoir d'insensé. Lui-même n'en revenait pas, mais il se répétait que le fait était là. Il l'aimait à en perdre la tête, à se compromettre, à ruiner sa carrière. Considérant la petite fille qui trottinait la main dans celle de sa mère, une autre pensée lui vint.
– Je vous fais serment, assura-t-il, que si vous avez un enfant de moi, je le reconnaîtrai et j'assurerai son éducation.
Angélique sursauta. II ne pouvait trouver professe plus capable de l'éloigner de tout embrasement. II s'en rendit compte.
– Je suis un maladroit, soupira-t-il.
Comme ils arrivaient devant la demeure des Berne, Angélique posa son panier à terre et prit à sa ceinture la clef qui ouvrait la porte sur le côté.
Le lieutenant du Roi suivait chacun de ses gestes avec un sentiment aigu de douleur et de ravissement. Elle était la grâce même. Elle serait la parure une maison.
– Votre pudeur m'affole, si elle était feinte, je me chargerais volontiers de vous en guérir. Mais je la sens, hélas, bien réelle... Écoutez-moi, je crois... oui, je crois que j'irai jusqu'au mariage.
Elle s'exclama :
– Mais... Vous êtes marié, certainement !
– Eh bien ! non, c'est ce qui vous trompe. Je ne vous cacherai pas que, depuis mes quinze ans, on m'a jeté toutes les héritières possible dans les bras mais j'ai toujours réussi à me sauver à temps et j'étais bien décidé à terminer ma vie dans la peau d'un célibataire... Mais pour vous, je me sens capable d'accepter les chaînes conjugales. Si la pensée d'une vie hors des lois divines est la seule raison qui vous écarte de moi, j'abattrai cet obstacle.
Il lui fit un grand salut, mollets cambrés.
– Dame Angélique, me ferez-vous l'honneur de m'accepter pour époux ?
Décidément, il était désarmant.
Elle ne pouvait, sans risquer de l'offenser gravement, traiter son offre à la légère. Elle affirma qu'elle était bouleversée, qu'elle n'avait jamais espéré un tel honneur, mais qu'elle était bien certaine qu'à peine de retour chez lui, dans son riche hôtel, il regretterait sa folle proposition, qu'elle-même ne pouvait l'accepter. L'obstacle qui la séparait de lui n'était pas de ceux qu'on écarte facilement, même en y mettant le prix.
– Comprenez-moi, monsieur de Bardagne... Il m'est difficile de vous expliquer les raisons de ce que vous appelez mon insensibilité... J'ai beaucoup souffert dans ma vie... et par des hommes. Leur brutalité m'a blessée et m'a éloignée à jamais des plaisirs de l'amour... Je les redoute et n'y ai point goût...
– N'est-ce que cela ? s'écria-t-il rasséréné. Mais, petite sotte, que pouvez-vous craindre de moi... J'ai l’habitude des femmes et de les traiter galamment... . Je ne suis pas un débardeur du port... C'est un gentilhomme qui vous prie de l'aimer, jolie dame... faites-moi confiance et je saurai bien vous rassurer et vous faire changer d'avis sur l'amour et ses plaisirs.
Angélique avait réussi à ouvrir la porte, à faire entrer Honorine et à déposer son panier dans la cour. Elle souhaitait que l'entretien prît fin.
– Promettez-moi que vous allez réfléchir à mes propositions, insista le lieutenant du Roi en la regardant. Je les maintiens toutes. Vous choisirez celle qui vous agréera.
– Je vous remercie, monsieur le comte. Je réfléchirai.
– Dites-moi, au moins, de quelle teinte sont vos cheveux ? supplia-t-il encore.
– Blancs, fit-elle en lui refermant la porte au nez.
Angélique avait été chargée par maître Gabriel d’aller porter un message à l'armateur Jean Manigault. Elle revenait par une ruelle, au pied des remparts, lorsqu'elle s'aperçut que deux hommes la suivaient.
Jusqu'alors, plongée dans ses pensées, elle n'y ait pas pris garde. Mais la ruelle déserte où elle venait de s'engager lui fit prendre conscience de ce bruit de pas, derrière elle, qui se maintenait à une égale distance. Ayant jeté un regard par-dessus son épaule, elle aperçut deux individus dont la mine ne lui plut pas. Ce n'était pas des matelots en maraude, ni même des mariniers du port. Leurs habits bourgeois étaient même assez élégants mais contrastaient avec des physionomies chafouines et mal rasées. Ils semblaient déguisés.
Un flair ancien lui fit songer « Des policiers »... Et elle hâta le pas. Aussitôt le bruit des talons se rapprocha et l'un des hommes l'interpella :
– Hé ! jolie fille, ne vous sauvez donc pas.
Elle marcha plus vite, mais ils étaient déjà à ses côtés, l'encadraient. L'un d'eux la saisit par le bras.
– Je vous en prie, messieurs, laissez-moi, dit-elle, en se dégageant.
– Hé ! pourquoi donc. Vous n'avez pas l'air gai. On peut bien vous tenir un brin de compagnie.
Leurs sourires sournois lui firent redouter le pire. Si elle se trouvait dans l'obligation de gifler ces importuns, elle risquait d'attirer l'attention sur elle. S'ils étaient des jeunes bourgeois de riches familles, ils accepteraient peut-être leur mésaventure. Mais elle ne savait pourquoi, elle craignait que ces beaux habits ne cachassent une personnalité plus redoutable.
Ses yeux cherchèrent un secours vers les façades le repas de midi et La Rochelle sacrifiait à l'habitude méridionale de fermer ses volets. Le soleil, fort brillant et chaud pour la saison, incitait à ce repos du milieu du jour. Personne aux fenêtres, ni sur le seuil des portes. Heureusement, Angélique s'aperçut qu'elle n'était pas loin des entrepôts de closes des maisons. Mais l'on était à l'heure suivant maître Berne.
Plutôt que de chercher à regagner la maison encore lointaine, en subissant cette désagréable escorte elle allait se réfugier là. Elle savait que maître Gabriel s'y trouvait, le marchand saurait remettre en place ces importuns.
Ils continuaient à lui débiter des compliments, des fadaises. Après tout, ils n'étaient peut-être que des buveurs, légèrement pris de boisson.
Elle obliqua sur la droite et reconnut avec soulagement, au bout du long mur aveugle, le porche devant lequel, le soir de son arrivée à La Rochelle, maître Gabriel avait fait une première halte pour laisser ses chariots de blé. Elle en était à quelques pas lorsque l'un des hommes, le plus grand, et qui paraissait assez bien musclé sous les reflets de sa redingote bleu canard, lui saisit la main et glissa un bras péremptoire autour de sa taille.
– Cela suffit comme ça, ma jolie ! Vous n'allez pas faire la moue à deux bons garçons comme nous, qui ne demandons pas plus qu'un sourire et un petit bécot bien senti. On nous a dit que les filles de La Rochelle étaient accortes et accueillantes aux étrangers. Montrez-nous cela !...
Tout en parlant, il se penchait et cherchait à prendre les lèvres d'Angélique entre les siennes.
Elle se rejeta en arrière et de toutes ses forces lui appliqua un soufflet retentissant. Il la lâcha pour tenir sa joue. Elle fit un bond en avant, mais déjà l'autre la ceinturait. Un sourire mauvais et comme triomphant étirait les lèvres de l'homme giflé.
– Vas-y, Jeannot, cria-t-il, tiens-la bien... Nous allons trousser cette belle parpaillote !... Un morceau pareil... C'est notre jour de chance...
À eux deux ils la maîtrisaient. Un coup de soulier brutal dans l'arrière des genoux la fit basculer. Elle hurla. Ils la frappèrent sur la bouche. Des mains arrachaient les lacets de son corsage. Elle crut qu'elle allait s'évanouir puis elle parvint à réagir et se débattit comme une forcenée, griffant et mordant.
Elle réussit à leur échapper, courut comme une folle vers le porche. Un caillou la fit trébucher, elle tomba sur les genoux, se traîna. Elle criait.
– À moi. À moi, maître Gabriel !... À moi !
Ils étaient à nouveau sur elle. Elle se mit à lutter dans un cauchemar, comme elle avait lutté contre les dragons de Montadour, avec le même sentiment d'impuissance et de terreur.
Soudain, ses assaillants parurent s'envoler. L'un d'eux sauta contre le mur, propulsé par une force invincible. Ses yeux devinrent vitreux. Il vacilla et s'affala sur Angélique avec la mollesse d'un pantin. Un sang rouge jaillissait par saccades de sa tempe. Elle repoussa avec horreur ce fardeau sanglant. Le sang coulait avec la violence d'une fontaine. Angélique n'arrivait pas à se dégager de ce corps pesant sur elle de toute l'inertie d'un corps sans vie. Elle se débattait contre lui avec égarement. Elle réussit enfin à le rejeter de côté. Devant elle, l'homme à la redingote bleue affrontait maître Gabriel. Le marchand dépassait largement en force et en carrure son adversaire. Ses poings le martelaient durement. L'homme déjà demandait grâce. Deux fois il était allé au sol. Ses vêtements étaient fripés et couverts de poussière, son visage devenait hagard. Sa perruque arrachée traînait dans le ruisseau et ses cheveux gras et sales apparus lui retombaient dans les yeux.
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