Eh bien ! Oui, le Roi la portait dans son cœur la Révoltée ! Et c'est elle qu'il revoit parmi toutes ses dames quand il s'arrête au sommet du bassin de Latone. Elle est là... Ses bijoux... sa peau qui en porte le reflet, si douce, transparente, lumineuse, qu'on voudrait irrésistiblement y poser les lèvres...
C'est alors que le comte de Bardagne s'était dressé en disant :
– Sortons, Monsieur. Nous allons nous battre.
Dehors il avait dégainé et foncé sur lui sans presque lui laisser le temps de se mettre en garde.
– Ces gens de petite noblesse ferraillent sans grandeur. J'étais à terre qu'il me frappait encore. Je ne comprends pas pourquoi je suis tombé car ce coup au bras n'était rien.
– Vous étiez ivre. Vos paroles en font foi... Et j'estime que Monsieur de Bardagne s'est montré bien clément en ne vous portant pas de coups plus mortels étant donné ce que vous lui aviez fait.
– Que lui ai-je fait à votre préféré ? À votre toutou...
– Vous l'avez blessé gravement en lui faisant mesurer sa bévue et pressentir le mécontentement du Roi à son endroit. Il aurait été toujours temps qu'il la connaisse. Et maintenant, où il est impuissant à se défendre dans l'extrémité où nous sommes rendus par les fatigues de l'hiver, je crains qu'il n'attente à sa vie.
– Mais non ! Je parie qu'il est bien tranquillement chez lui à se vanter auprès de ses larbins de m'avoir égratigné et à vous attendre pour vous faire son récit. Oh ! Cette robe verte...
– Qu'a-t-elle cette robe verte ?
– Elle vous va ! Vous êtes merveilleuse. Mais attention, ma chère, trop simple. Le Roi vous voudra plus somptueuse.
– Le Roi me voudra sans doute morte ou embastillée, et votre sœur plus encore... Cessez de parler du Roi.
S'il n'avait été blessé, Angélique l'aurait saisi par son jabot de dentelle et l'aurait secoué. Elle éclata en imprécations.
– Qu'êtes-vous pour vous permettre de maltraiter votre entourage sans raison ? Rien ! Rien à mes yeux, je vous le dis crûment. Vous vous croyez tout permis. Vous traitez des gens qui vous valent bien comme des pions de jacquet qu'on secoue dans un cornet. Vous n'avez ni cœur, ni conscience, ni charme et vous n'êtes même pas sûr de votre fortune. On connaît l'orgueil des Rochechouart, mais ni vous ni votre sœur ne m'avez jamais impressionnée, et je vous ai toujours pris pour ce que vous êtes : de brillants insolents, avides, orgueilleux, ignorants, sans cœur, ni rien. Votre blason vous tient lieu d'entrailles et vous croyez que le nombre de vos quartiers de noblesse peut remplacer la noblesse de caractère qui est la seule attachante. C'est vous qui êtes un imbécile d'imaginer que la méchanceté de votre esprit ne finira pas par vous nuire. Vous pouvez compter sur moi pour vous faire regretter d'être un inutile aussi nuisible. C'est à cause de personnages de votre espèce qu'on ne peut jamais rien vivre d'heureux. Vous empoisonnez jusqu'aux beautés de Versailles. Je vous le ferai payer cher, je vous le promets. Peut-être demain. Le Roi me recevra à la Cour. Vous le savez. Et alors prenez garde que je ne venge mes amis. Si vous êtes de mes ennemis, je vous écarterai...
– Ne me parlez pas ainsi. Je tiens trop à vous, s'écria Vivonne en se dressant si brusquement qu'il trébucha sur sa jambe blessée et que le médecin bousculé faillit tomber dans le feu.
– Ne bougez donc pas ainsi, Monseigneur, je ne peux arriver à vous panser.
– Vous vous exagérez les choses. Je n'ai rien contre vous, Angélique, disait le duc. Et peu m'en chaut des intrigues que votre retour suscitera. Vous connaissez Versailles. C'est le jeu. On jouera chacun pour soi sa partie et tant pis si Athénaïs perd. Je suis peut-être son frère, mais elle a tort de s'imaginer qu'elle est toujours la Reine. Si elle l'avait été, je n'aurais pas eu besoin de m'exiler et de me faire oublier quelque temps pour me sortir d'un mauvais pas. Vous avez raison. Elle aussi s'est usée en intrigues épuisantes et avilissantes, pour la défense et le maintien de plaisirs et d'honneurs dont on n'a même plus le temps ni le goût de jouir. Vous, vous êtes neuve. Si vous revenez à Versailles, je parie pour vous. Car le Roi aussi est las de ceux qui l'entourent. C'est pourquoi il n'a pu vous oublier. C'est pourquoi il se tourne vers cette bigote de Maintenon, la veuve Scarron... Ha ! Ha ! Je ne suis pas si sot, ni si mauvais que vous le croyez. Si vous gagnez, je ne vous nuirai pas.
– Bien, j'en prends note, dit-elle, calmée par ses protestations. Mais vous êtes prévenu.
En se retournant pour quitter la pièce, il lui parut sentir braqué sur elle, comme autant de pistolets, au moins trois paires d'yeux pleins de haine.
La chambre où elle était entrée en coup de vent était sombre et seulement éclairée par le feu dans la cheminée. Occupée de Vivonne, et de lui servir ce qu'elle avait sur le cœur depuis longtemps, elle n'avait pas pris garde aux autres personnes présentes, en dehors du médecin. Or Saint-Edme était là ainsi que le baron de Bessart, et le laquais, barbier, homme à tout faire et sans doute homme de main, qui leur était dévoué et qui tenait la cuvette pendant que l'on nettoyait les blessures du gentilhomme.
Le petit discours de celui-ci, assurant à Angélique qu'il se désolidariserait de sa sœur à l'occasion, ne semblait pas avoir eu l'heur de leur plaire. La maîtresse du Roi les avait peut-être à sa solde, se les attachant soit par des largesses, soit par des menaces de dénonciations de leurs crimes, ou vols ou escroqueries ou dettes de jeu.
L'impression qu'elle emporta de ces regards furibonds qui la fixaient comme sortis de la pénombre de la tapisserie ne lui fut pas agréable.
« J'ai signé mon arrêt de mort, se dit-elle, mais tant pis, advienne que pourra. »
Elle s'essoufflait en gravissant trop vite la côte de la Montagne. Elle était en souci pour Bardagne. Ce qu'elle savait de lui et du tour qu'avait pris son caractère depuis qu'elle l'avait connu à La Rochelle ne l'encourageait pas à se montrer optimiste comme le conseillait Vivonne.
Bardagne était un imaginatif. Il tenait plus à ses illusions qu'à des réalités décevantes. Les joies les plus grandes il les devait en bonne partie à des mirages qu'il se forgeait et qu'il entretenait par les effets d'un caractère enthousiaste et légèrement présomptueux.
Amoureux il lui était loisible, grâce à l'illusion qu'il avait de la personne aimée d'en créer un être à sa convenance. Ce qui est toujours plus facile et plaisant que de s'accommoder de l'être lui-même, pas toujours malléable. Et tout cela lui avait fort réussi dans le passé, tant qu'il ne s'était agi, pour lui, que de séduire les châtelaines du voisinage de sa propriété berrichonne ou les demoiselles des villes de garnison ou celles de La Rochelle où il avait connu quelques déboires avec les jeunes filles de la société protestante, jalousement défendues par leurs pères furieux de voir un papiste oser tourner autour d'elles avec la prétention de les débaucher ou, ce qui était encore pis, de les épouser. La seule pensée d'une telle alliance faisait dresser les cheveux sur la tête des dignes calvinistes. Mais sa position de représentant du Roi aux affaires religieuses lui avait pourtant permis de mener, dans la citadelle protestante du royaume de France, une vie fort agréable. Comme le marquis de Ville d'Avray, il trouvait alors la ville belle, n'ayant guère eu l'occasion de tomber du haut de ses rêves. Angélique, servante d'un huguenot, lui avait posé une énigme. Et c'est encore par l'illusion qu'il avait essayé de la résoudre. Aujourd'hui tout pour lui volait en éclats.
Angélique en courant pénétra dans le petit parc de la Closerie et remonta l'allée. Le sous-bois gardait encore des traces de neige.
Dans le vestibule de la maison, elle trouva le premier officier de M. de Bardagne qui errait comme une âme en peine au milieu d'un désordre affligeant. Il redressait et remettait çà et là en place une chaise, un tabouret, tandis que le secrétaire pliait des vêtements et les déposait l'un après l'autre dans des coffres et dans des malles de cuir bouilli.
M. de Bardagne était arrivé deux heures plus tôt d'un air hagard disant qu'il quittait sur-le-champ « ces lieux maudits ».
– Où est-il allé ?
Il avait annoncé qu'il réemménageait dans l'habitation qu'on lui avait allouée à son arrivée et qui était une petite gentilhommière à l'écart de la ville, au sein des plaines d'Abraham. Il n'avait voulu prendre que quelques vêtements, ses armes personnelles, deux livres.
– Mais ce logis des plaines d'Abraham doit être humide et peu confortable ! Pourquoi ne l'avez-vous pas accompagné ?
– Il a exigé que je reste là pour garder la demeure. Veiller à la mise en caisses de ses livres, préparer le déménagement, ne pas laisser sans surveillance les gens de maison et des cuisines. Mais ce n'est que prétexte. Il veut surtout être seul. Il n'avait requis que son valet de chambre. Un homme de peine, gardien là-bas, aidera le domestique pour ce soir.
Angélique demanda l'heure.
Il était cinq heures de l'après-midi et il faisait encore clair. Les journées se prolongeaient.
– Je vais aller le visiter et peut-être vous le ramènerai-je calmé !
– Oh ! Oui, Madame, faites cela je vous en prie, vous seule pouvez quelque chose pour lui. Nous, ses amis, l'avons senti tellement atteint, comme si c'était lui qui avait reçu ce coup d'épée dans ce duel et non Monsieur de La Ferté.
– Que s'est-il passé ?
– L'ignorez-vous, Madame, vous qui êtes la cause de cette rencontre ?
– Peut-être ! Mais je n'y ai pas assisté. J'ignore ce qu'ils se sont dit avant de se jeter le gant au visage.
– J'avoue que je l'ignore aussi. Mais j'en devine assez pour savoir que toute intervention de votre part lui sera bienfaisante. Vous êtes mêlée à son émotion car cet amour qu'il vous porte, comme il me l'a répété bien des fois, a peut-être ruiné sa vie. Mais il craint maintenant qu'il n'ait ruiné sa carrière, ce qui pourrait l'amener à un geste fatal car il est très attaché au service du Roi.
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