– Et lui ? demanda subitement Angélique. Lui, l'homme que j'aime ? Tu ne m'as pas parlé de lui.
– Je ne le connais point, répondit la sorcière.
Et elle détourna la tête avec un sourire.
– Tu devrais pourtant le deviner, il a tant de force.
– Il ne faut pas trop essayer. Il y a trop de choses autour de lui.
Elle restait songeuse à regarder vers la ville, comme sans y attacher d'importance, elle souriait d'un air indulgent.
– Tu es une femme heureuse..., murmura-t-elle.
Puis son visage s'assombrit et elle jeta comme malgré elle :
– Il ne faut pas qu'il aille à Prague !
– Prague ! répéta Angélique ahurie.
– Oui, Prague !... La ville !... Tu es ignare ?
Puis pour compenser l'inquiétude inutile qu'elle venait de faire naître, maternellement, elle lui caressa la joue, voulant effacer les ombres.
– Mignonne ! Ne crains rien !... C'est loin, loin. Et peut-être que cela ne sera pas... Et toi, sache-le, tu seras toujours la plus forte. Je le vois inscrit sur ton front. Et maintenant va, Angélique-la-Belle !...
*****
À Québec Angélique apprit avec déception que M. de Peyrac était à Sillery.
Euphrosine Delpech, à guetter aux abords du château de Montigny la sortie de Mme de Castel-Morgeat qu'elle avait vue s'y engouffrer dans un état proche de l'hystérie, fut punie de sa démarche malveillante car elle eut le nez gelé.
Fort marrie, et après avoir consulté le médecin, les voisins et les sœurs de l'Hôtel-Dieu qui hochèrent la tête, elle se décida à se rendre chez Mme de Peyrac car elle avait, disait-on, des « remèdes magiques ».
Celle-ci venait de revenir de sa visite chez la sorcière de l'île d'Orléans, ce qui augmentait encore l'espoir d'Euphrosine de trouver un remède à ses maux. Son nez avait doublé de volume et présentait une variété de couleurs que n'aurait point désavouée la palette de Frère Luc : bleu, rouge, jaune, vert, violet.
Pour des raisons qu'elle gardait pour elle seule pour l'instant et qui lui étaient inspirées par les réflexions qu'elle s'était faites durant cette très longue visite que Mme de Castel-Morgeat avait rendue au comte de Peyrac et des déductions qu'elle en avait tirées, surtout après avoir vu le visage illuminé de la visiteuse lorsque celle-ci avait quitté le manoir, la demoiselle Delpech était très gênée de se présenter en face de Mme de Peyrac, et elle y aurait renoncé si elle n'avait pas eu si peur de perdre ce précieux appendice que tout humain porte au milieu du visage.
– Comment avez-vous pu vous laisser prendre ainsi par le gel, vous, une Canadienne ? s'étonna Angélique.
– Le soleil brillait et je me suis persuadée de sa tiédeur. Aussi suis-je restée un bon moment immobile sans y penser.
« Elle devait être en train de surveiller un voisin et a préféré se laisser brûler par la bise que de ne pas pouvoir satisfaire sa curiosité », pensa Angélique qui avait des antennes et connaissait la dame.
Des deux côtés de l'emplâtre qu'elle lui faisait maintenir sur son visage, les petits yeux de la commère l'examinaient, ne notaient qu'une tranquille assurance dans son maintien, et sur ses traits la sérénité animée qui en faisait le charme. Les traits d'Angélique se crispaient rarement : colère, joie se révélaient chez elle par l'expression des lèvres et l'intensité des yeux, leur éclat ou leur douceur. Tandis qu'une onde passait sur elle, ombre ou clarté, de joie ou de déplaisir.
Euphrosine nota pourtant un mouvement des blonds sourcils qui paraissait atténuer son habituelle expression ouverte et aimable.
– Euphrosine, ma chère, dit Angélique, vous qui savez tout mieux que la gazette du pays, pouvez-vous me dire ce qu'il en est de cette histoire de Sabine de Castel-Morgeat avec mon mari ?
S'il ne l'avait été déjà le visage d'Euphrosine Delpech serait passé par toutes les couleurs sous son masque. Mais ce n'était pas ce qu'elle croyait.
Par Janine Gonfarel, tandis qu'elle était à l'île d'Orléans, Angélique savait qu'on était venu chercher M. de Castel-Morgeat à l'auberge, l'appelant au duel contre M. de Peyrac qui, paraît-il, avait frappé l'épouse du lieutenant des armées royales en Amérique.
– Ce bruit absurde vient à peine de me parvenir aux oreilles et il y a eu, je m'en doute, quelque incident qui lui a donné naissance, mais de quelle sorte ? Je ne sais car je vous l'avoue je ne vois pas mon mari lever la main sur une femme, si insupportable qu'elle soit.
La honte s'empara d'elle, et voyant qu'elle était sur le point de commettre encore un de ces péchés de médisance pour la pénitence desquels son confesseur lui donnait des aunes de chapelets à réciter, elle rougit ce qui augmenta ses douleurs et se mit à pleurer.
– Souffrez-vous beaucoup ? s'enquit Angélique.
Et comme Euphrosine secouait négativement la tête.
– Alors pourquoi pleurez-vous ?
– Parce que je ne suis pas une bonne femme, répondit la Delpech entre deux reniflements laborieux. Non, je ne suis vraiment pas bonne, et croyez que je le regrette. Vous êtes mille fois meilleure que moi, Madame, quoi qu'on en dise, et vous ne méritez point le mal qu'on vous veut, ni les trahisons dont on vous afflige. Pardonnez-moi, Madame, je vous prie. Pardonnez-moi, je vous le demande humblement.
Les protestations d'Euphrosine Delpech qui partit, un pot d'onguent sous le bras et noyée dans les larmes que lui faisait verser un mystérieux repentir, laissaient à Angélique une impression douteuse. S'il était déplaisant de passer pour une diablesse, il ne lui agréait pas non plus de passer pour une sainte. Qu'était-il donc arrivé en son absence, pourtant courte, qui mêlait l'incorrigible Sabine à leurs noms ? M. de Castel-Morgeat s'était-il battu en duel avec Joffrey de Peyrac ? Personne n'en parlait.
Elle se rendit au château Saint-Louis avec l'intention d'encourager Sabine à prendre des « simples » qu'elle rapportait de chez Guillemette et ainsi elle serait peut-être renseignée car l'impulsive Sabine ne savait rien dissimuler de ses émotions.
On lui dit que Mme de Castel-Morgeat était à l'église. Elle la rencontra sur le parvis et aussitôt son regard nota l'ecchymose qu'elle portait à la tempe.
– Que vous êtes-vous fait là ? demanda Angélique, après qu'elles eurent échangé des salutations banales.
Sabine ne broncha pas.
– Oh ! Cela ! dit-elle en portant un doigt à la blessure. Ce n'est rien, je me suis heurtée à l'angle d'un meuble.
Elle eut ce sourire trop rare qui la rendait belle en effaçant les plis d'amertume aux coins de sa bouche.
– ... Vous n'ignorez pas ma maladresse...
La voyant l'humeur accessible, Angélique lui remit le petit sachet que lui envoyait Mme de Montsarrat-Béhars.
– On raconte bien des choses sur elle, mais c'est une personne de cœur et fort savante, croyez-moi.
– Si vous la recommandez, je ne saurais penser autrement... Votre avis ne me surprend pas. Je sais que ceux qui la vouent au bûcher sont souvent les premiers à venir lui demander secours...
Elle prit le sachet que lui tendait Angélique.
– Votre bonté me touche, Angélique. Il n'y a pas au monde deux femmes comme vous.
– Elle est tout à fait transformée, lui dit peu après Mme de Mercouville. Les médecines que vous avez réussi à lui conseiller y sont peut-être pour quelque chose, mais je crois connaître le fin mot de cette conversion. J'ai tout su par le valet de M. de Frontenac. Il paraît qu'il y a eu une dispute terrible entre les deux époux... c'était la nuit de la tempête qui vous a retenue à l'île d'Orléans. Ils n'en étaient pas, certes, à leur première querelle et nous sommes accoutumés à voir Sabine nous revenir portant au visage les marques de ce brutal mais cette fois, et j'ai le témoignage du domestique, il y a eu réconciliation et réconciliation sur l'oreiller, qui est, vous n'en disconviendrez pas, la meilleure façon, quoi qu'en disent nos confesseurs. Et cela dure ! C'est un miracle ! Les dames de la Sainte-Famille et moi-même avions promis une neuvaine et vingt cierges à brûler au sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré si Sabine sortait du terrible état dans lequel elle se trouvait. Voyez, ajouta la pétulante et fervente Mme de Mercouville, à quel point le ciel se montre clément avec nous. Tout lui est bon et même les transports coupables de l'amour lorsqu'il s'agit de sauver une âme humaine !...
L'explication de Mme de Mercouville calma les appréhensions incertaines d'Angélique. En revanche, avait dit Mme de Mercouville, un sacrifice leur était demandé à toutes : il fallait renoncer à monter une pièce de théâtre pour la mi-carême. On avait trop atermoyé, l'évêque était trop réticent car ces festivités tombaient avec celles de la Saint-Joseph, patron de la Nouvelle-France et qu'il craignait de ne pas voir honorer assez solennellement et religieusement. Et puis... Il faisait trop froid, trop froid... Et ce froid ne fit qu'augmenter dans les jours qui suivirent. Aux plus actifs, les déplacements coûtaient mille morts, et les femmes craignaient de voir la peau de leur visage éclater sous le gel comme le bois des arbres dans les forêts.
Les chutes de Montmorency s'étaient arrêtées de couler. Tout à fait gelées. Le corps de Martin d'Argenteuil devait avoir été broyé derrière ces colonnades de glace.
M. de La Ferté avait dit que son écuyer était malade. Ce qui laissait tout le monde indifférent. À part Mlle d'Hourredanne qui blêmit : le mal napolitain !
– Par grâce ! Ne le soignez pas, supplia-t-elle Angélique.
Piksarett était absent. Il avait quitté la ville disant qu'il allait consulter un célèbre « jongleur », ainsi nommait-on les chamans indiens qui avaient le don d'interpréter les songes.
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