– Comment vous y êtes-vous prise ? ne cessait d'interroger Ville d'Avray plus qu'intrigué.
– Secret de femme, répondait Angélique moqueuse.
*****
Au « lever » il arrivait à Angélique de pousser son vantail sur une aube fourmillante d'étoiles. Le froid était vif, immobile, d'une pureté vibrante. Le silence de la nature était si profond que parvenait jusqu'à elle le grondement lointain de la chute d'eau sise à deux lieues de Québec et qu'on appelait le Sault de Montmorency.
Puis le jour se levait avec des lueurs liliales ou fleur de pêcher. Une lueur carmin rampait à la lisière des montagnes. Toutes les aspérités du paysage, toutes les pointes de clochers, les pignons des demeures même les plus éloignées, se piquaient d'un rubis et le versant glacé des champs luisait sous la caresse du soleil levant comme une verrerie précieuse. Le bleu des bois sur les côtes se confondait avec celui du ciel tant il devenait pur et intense.
Mais parfois tout était blanc de la terre et du ciel. Et, de la côte de Beaupré, on ne devinait la vie qu'aux rubans vacillants des fumées s'échappant des cheminées. Sous les hauts toits à la normande, l'habitant entouré de sa famille et de ses « engagés » s'asseyait devant son premier verre d'eau-de-vie et de la grande jatte de lait trempé de morceaux de pain, posée au milieu de la table.
Durant le mois de janvier, la vie de la cité était très animée. Le Carême viendrait assez tôt, disait-on, avec son cortège de pénitences : quarante jours de jeûne et abstinence en perspective, les boucheries et les pâtisseries fermées...
On mettait « les bouchées doubles » en toutes choses : nourriture, plaisirs, divertissements. Il y avait beaucoup de soupers d'église, c'est-à-dire des repas de confréries, prétexte à réunir sous l'œil indulgent de leur saint patron les membres d'une pieuse corporation ou d'une diligente société de charité.
Prétexte à boire plus que de raison. Les dames se passaient leurs recettes culinaires ou de boisson qui faisaient de leurs maisons un lieu réputé où l'on se rendait volontiers.
La demoiselle Euphrosine Delpech, dont les « bouilleurs de cru » parlaient avec révérence parce qu'elle avait la meilleure levure pour les alcools, fabriquait un ratafia des quatre graines : fenouil, angélique, coriandre et céleri, qui était une merveille, et qu'on affectait de prendre pour un remède, alors qu'il n'y avait pas meilleur à boire avant d'aller au lit en galante compagnie. Pour les vertus de son ratafia aphrodisiaque, on lui pardonnait d'être la plus mauvaise langue de la ville.
On lisait, on se recevait, les gens aimaient les beaux discours, les beaux sermons, les offices grandioses.
Mme de Campvert donna un grand bal. Comme elle avait du faste, de la grâce quand elle voulait s'en donner la peine et que sa verve intimidait, tout le monde s'y rendit, sauf Mme Le Bachoys qui retint ses filles et ses amants dans ses jupes.
« C'est une dépravée, disait-elle, et l'amour ne gagne rien à porter masque de débauche. »
L'on dansait, l'on jouait aux cartes avec frénésie et l'on aimait.
Médisances, calomnies et rivalités allaient leur train, mais c'était une société où l'on ne reprochait pas aux autres d'avoir moins de naissance car tout le monde au Canada travaillait ou s'employait pour le service du Roi.
Mlle d'Hourredanne avait commencé sa lecture de La princesse de Clèves, histoire d'amour écrite par ]'une de ses amies parisiennes, Mme de La Fayette, qui se piquait de belles-lettres.
Ces soirs-là, on trouvait dans sa « ruelle » en sus de Mme de Peyrac et sa fille, le marquis de Ville d'Avray, l'intendant Carlon, M. de Bardagne et M. de Chambly-Montauban, Mme Haubourg de Longchamp, sa camériste et sa fille d'une dizaine d'années, Mme de Mercouville et ses deux filles aînées, M. Le Bachoys qui montait exprès de la Basse-Ville, etc.
Les soirées de l'agréable lectrice étaient fort courues. Sire Chat se faufilait avec obstination sur les talons d'Angélique et d'Honorine attiré par cette demeure mystérieuse. On renvoyait alors la chienne de Mlle d'Hourredanne à la cuisine avec la servante anglaise. Mais celle-ci tenait à assister à la lecture et elle s'installait dans un coin de la pièce les mains sur les genoux, comme si elle s'apprêtait à écouter un sermon sur la Bible, le jour du Seigneur, dans la meeting-house de son établissement bostonien.
La chienne, dans la cuisine, gémissait car elle aussi appréciait cette heure où elle était bercée par la douce voix de sa maîtresse. On devait la ramener dans le cercle de famille. Chien et chat finirent par s'entendre et c'était merveille de voir Sire Chat, perché au sommet du baldaquin, plisser les paupières d'un air pénétré lorsqu'à certains passages la voix de la lectrice tremblait d'émotion et la chienne, couchée, rêveuse, aux pieds de l'Anglaise, toutes deux parfois soupirant profondément.
On se demandait ce que la captive de Nouvelle-Angleterre pouvait bien comprendre aux intrigues amoureuses et alambiquées de ces ducs et princesses de France qui ne cessaient de s'interroger, de gémir, de pleurer et de mourir, passaient comme des ombres auréolées de leurs grandes fraises godronnées, des couloirs du Palais du Louvre sur les rives de la Seine, à ceux des résidences royales sur les bords de la Loire, cadre qui avait été celui de la Cour d'un des derniers rois Valois, Henri II, au siècle dernier.
Bérengère-Aimée de La Vaudière, dès le début, s'était montrée assidue aux lectures chez Mlle d'Hourredanne. Espérait-elle y rencontrer Peyrac ? Avoir la possibilité de l'apercevoir plus facilement et comme par hasard ? Pensait-elle qu'un soir Angélique l'inviterait chez elle et qu'elle pourrait s'introduire dans la petite maison pour y papillonner en observant tout et dans quelle intention, finalement ? On ne savait trop que penser. Les uns disaient que c'était une enfant qui ne se rendait pas compte de son comportement. D'autres, que c'était une rouée.
Et il était désagréable à Angélique de penser que dans son dos bien des commères se confiaient qu'à sa place elles se méfieraient.
Sa présence gâchait pour elle les heures agréables des soirées où se poursuivait le récit du fatal amour de Mme de Clèves pour M. de Nemours. À la lecture de la mort de Mme de Chartres, mère de Mme de Clèves, Bérengère éclata en sanglots.
– Oh ! Que je me languis de ma mère, gémit-elle. Cet exil est trop long... Plus de neuf mois sans missive, sans que je puisse savoir ce qu'elle devient ni lui confier mes peines.
– Faites comme moi, écrivez ! lui conseilla Cleo.
– Non ! Non : À quoi bon écrire à un fantôme. Peut-être est-elle morte déjà elle aussi... Oh ! Je ne peux plus durer... Je veux revoir ma mère... ma mère... Ho ! Ho !...
Les pleurs redoublèrent et se changèrent en cris. On dut l'entourer pour essayer de l'apaiser. Mme de La Melloise pressait Angélique de l'emmener dans sa maison juste en face pour lui faire boire quelque chose.
Angélique se garda bien de jouer les sœurs de charité. Elle fit la sourde oreille. Les larmes de Bérengère ne l'attendrissaient pas. Tout lui était bon pour faire la comédie. Nul n'était plus habilité pour consoler Mme de La Vaudière que son beau et charmant mari, déclara-t-elle en appuyant sur le mot charmant. Il fallait la reconduire dans la Basse-Ville où le couple avait son hôtel.
– Je l'accompagne, décida Ville d'Avray.
Les hôtes de Mlle d'Hourredanne, après l'avoir vue sortir ployée sous le poids de son chagrin mais tendrement soutenue par le marquis, s'accordèrent à dire que celui-ci serait un consolateur beaucoup plus efficace que le mari.
*****
En ce début d'année, outre la succession ininterrompue des visites que tout le monde voulait se rendre, à plusieurs reprises, il y eut au château de Montigny collations, jeux, bals, petite musique ou petit théâtre suivis de médianoche.
Et l'on conservait l'habitude parisienne de sortir masqué le soir dans les rues, ce qui avait l'avantage, les masques étant de velours ou de soie, de protéger les visages des intempéries souvent cinglantes.
Malgré les fêtes il y avait beaucoup d'activités. Les deux prisonniers anglais arrivaient chaque matin du campement des Hurons pour enseigner à Mme de Mercouville comment teindre sa laine et son lin. Mais la veuve indienne, qui était à un double titre la maîtresse de l'un d'eux puisqu'il remplaçait près d'elle à la fois un domestique auquel elle avait bien droit, son fils qui devait l'assister ayant été tué au combat contre les Anglais et un mari, également tué au combat, prit ombrage de ces visites qu'elle avait autorisées pour faire plaisir à M. l'intendant et à Onontio, c'est-à-dire au gouverneur.
Elle vint elle-même, solennellement, voir de quoi Mme de Mercouville avait l'air et, la trouvant avenante, elle fit toute une histoire. C'est qu'elle y tenait à son John, la veuve ! Il lui plaisait ce laboureur puritain du Massachusetts, qui était dur à l'ouvrage et avait au moins le mérite de ne pas rechigner à faire l'amour. Encore que moins entreprenant que les Français, il était, comme tous les Européens, porté sur la chose, ce que les femmes indiennes apprécient, leurs guerriers, chez elles, étant trop souvent préoccupés de ménager leurs forces pour courir plus vite, combattre plus habilement et supporter plus vaillamment la torture, lorsque leur tour viendrait de tomber entre les mains des Iroquois.
Elle ramena donc, avec diligence, son captif anglais au bourg de Lorette et Mme de Mercouville dut se contenter de l'autre, un jeune rouquin, tout à fait indianisé, mais qui se souvenait de ce que lui avait appris son père, artisan à Salein.
L'intendant Carlon, lui, réquisitionnait du monde pour porter les métiers à tisser dans les différents foyers où les femmes se mettraient à l'ouvrage. C'étaient des engins fragiles, lourds, encombrants, mais la colonie devait se suffire à elle-même, répétait-on. C'était important les toiles, les étoffes. Cela coûtait cher à importer. Et puis les femmes ne devaient pas rester oisives.
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