– Vendus à l'Anglais... Traîtres !
– Traîtres vous-mêmes ! Laissez avancer ! Ne vous mêlez pas de ce qui se passe dans notre quartier. Vendus vous-mêmes ! On vous a payés ! Qui vous a payés ?... Le jésuite ?
– Tais-toi, blasphémateur !
Dans le hourvari subit qui venait d'éclater et où les habitants du quartier qui avaient accueilli Angélique à son débarquement prenaient violemment sa défense, des pierres commencèrent à voler. L'un des projectiles ricocha et vint frapper le chat.
Un miaulement éperdu s'éleva.
– Mon chat ! s'écria Angélique, bouleversée.
L'animal avait poussé un miaulement éperdu, avait fait un bond puis était retombé, immobile.
Sans souci de sa robe princière, Angélique se jeta à genoux près de lui. Tout se désorganisait. Les gens criaient et se molestaient. Les matelots de la chaloupe avaient immédiatement formé cercle autour d'Angélique. Celle-ci avait ramassé son pauvre chat, essayant de voir s'il était blessé ou seulement étourdi. Heureusement la pierre avait ricoché et l'avait frappé moins brutalement. Ville d'Avray, son épée tendue, réussissait à maintenir les gens à distance. Il n'aurait voulu blesser personne et les adjurait de se calmer. Mais on ne l'écoutait pas.
Une voix de poissarde éraillée et tonitruante domina soudain le tumulte.
– Arrêtez donc, malappris ! Sagouins ! Mal torchés ! Vous n'avez donc pas honte ! Vous en prendre à une bête ! Je vais vous réduire en chair à pâté, moi !
En quelques instants la situation fut de nouveau claire et nette. Comme les quilles ébranlées par la soudaine arrivée d'une boule bien lancée, quelques antagonistes allèrent mordre la poussière et dans l'espace ainsi découvert on aperçut une grosse femme, très violente, tous ses cheveux hors de sa coiffe, qui distribuait généreusement de grandes claques et des coups de pied, faisant le vide autour d'elle. Demeurée maîtresse du terrain, elle vint se planter devant Angélique.
– T'en fais pas pour ton chat, ma petite, lui lança-t-elle d'une voix radoucie.
Et tout bas, d'un ton de confidence :
– Il n'a rien. J'ai vu comment la pierre l'a frappé. Tiens, tu vois, il bouge. J'm'en vais te le soigner. Passe-le-moi. C'est pas le moment pour toi de soigner ton chat. Continue tout droit. Vaut mieux pas s'attarder par ici. J'ai envoyé mon larbin prévenir ces beaux messieurs et d'ici pas longtemps la garde va s'amener et t'encadrer pour te conduire au Gouverneur. Crains rien et fais-moi confiance. J' vais te le soigner, moi, ton chat.
Prenant délicatement dans ses bras l'animal qui commençait à gigoter, elle adressa à Angélique un clin d'œil énergique et complice et se perdit dans la foule qui lui livra le passage volontiers. Elle paraissait être connue ici et avoir une grande influence sur les gens de son quartier.
Ville d'Avray époussetait ses manchettes et rectifiait sa perruque. Timothy lui tendit son chapeau qui était tombé.
– Mais qu'est-ce que c'est que ces mœurs-là, ronchonna le marquis. Je ne reconnais plus ma bonne ville. Ce que c'est que de peindre le diable sur la muraille et d'effrayer les braves gens ! J'en ai reconnu quelques-uns parmi eux qui ne perdent rien pour attendre. Je vais leur faire payer cher leur insolence. Le lieutenant de police civile et criminelle est mon meilleur ami.
Angélique regarda autour d'elle. Elle n'était entourée maintenant que de personnes empressées à lui plaire. Mais l'incident du chat l'avait troublée. Quelque chose lui échappait dans l'intervention de la grosse femme. Pourtant cette femme, malgré sa familiarité, lui avait inspiré confiance.
Elle regarda vers Ville d'Avray et lui dit :
– Il faut que nous parvenions à joindre Monsieur de Frontenac.
À ce moment, la foule s'écarta avec empressement pour laisser s'avancer un homme qui venait au-devant d'elle d'un pas rapide.
Lui aussi tenait son épée hors du fourreau, comme prêt, s'il le fallait, à pourfendre quiconque s'opposerait à lui.
Botté et chapeauté de noir, il portait par-dessus son pourpoint une courte chasuble également noire, au centre de laquelle était brodée une grande croix pattée d'argent.
Elle reconnut, vêtu de son grand uniforme de l'Ordre de Malte, le chevalier Claude de Loménie-Chambord.
Chapitre 7
L'inquiétude marquait ses traits.
– On nous a alertés ! s'exclama-t-il. Dieu merci, vous êtes saine et sauve ! Quelle aventure incroyable ! Nous étions tournés vers le fleuve, à essayer de deviner ce qui allait arriver. Et voici que vous nous prenez à revers...
Il sourit. Angélique était émue de le revoir et fort soulagée de sa présence. Le chevalier de Malte possédait un grand ascendant sur la population.
– Qui a tiré ? demanda Ville d'Avray.
– On ne sait encore... Heureusement Monsieur de Frontenac a agi promptement et avec énergie. Il était furieux qu'on ait contrevenu à ses ordres. Il est remonté en hâte vers la Haute-Ville afin d'intervenir en personne si cela se révélait nécessaire... Mais il semble que tout est rentré dans l'ordre... Venez ! Je vais vous conduire jusqu'à la Place Royale où l'on vous attend... Je vous prends sous ma protection.
Soudain, ses yeux s'agrandirent, émerveillés. Il venait de s'aviser de ses atours.
– Seigneur ! Madame ! Que vous êtes belle !
Elle rit gaiement. Il ne l'avait connue au fort Wapassou qu'emmitouflée dans des fourrures ou de gros lainages, chaussée de bottes. Elle n'était pas mécontente de se montrer à lui sous un jour plus seyant et même éclatant.
– J'ai voulu faire honneur à Québec, dit-elle. C'est un si beau jour pour moi.
On lui avait tellement rapporté que le chaste chevalier était tombé amoureux fou d'elle qu'elle ne pouvait s'empêcher de manifester un peu de coquetterie dans leurs rapports.
Une chose était certaine, c'est qu'il avait pris parti pour eux avec fougue, jusqu'à se faire accuser « d'avoir perdu la raison et de s'être laissé envoûter ». En ami loyal il avait tenu bon. Et l'entrevue d'aujourd'hui devait beaucoup à son courage.
– Et moi ? intervint Ville d'Avray.
Il avait froncé les sourcils en entendant le comte de Loménie déclarer : « Je vous prends sous ma protection. »
– Quoi ! On nous bombarde. On nous sépare de notre escorte. Nous débarquons dans la vase des bas quartiers sans que personne ne s'en avise et ne vole à notre secours... Nous nous colletons avec la canaille pour nous rendre à grand-peine jusqu'à vous. Je défends Madame de Peyrac au péril dé ma vie. J'évite à Monsieur de Frontenac une rupture diplomatique grave. Qui sait ? La guerre, peut-être ! Et ce n'est pas moi qui aurai l'honneur de présenter Madame de Peyrac au gouverneur et aux notables, mais vous ? Croyez-vous, Monsieur de Loménie, que vous n'avez qu'à surgir pour vous adjuger le beau rôle ?
– Calmez-vous, marquis, fit le chevalier surpris. Et recevez toutes mes excuses. Je ne m'attendais pas à votre présence.
– C'est complet !
– Je ne vous avais pas vu.
– Je vous avais pourtant adressé la parole et vous m'avez répondu... Mais vous étiez absent, transporté, ébloui ! Par ELLE, évidemment. Notez que je conçois votre saisissement et je peux même l'excuser, mais... je ne m'en effacerai pas pour autant...
– Eh bien ! c'est moi qui m'effacerai, consentit en riant le comte de Loménie-Chambord.
Cependant, il ne lâcha pas la main d'Angélique. Il se plaça seulement à sa gauche, tandis que le marquis se mettait à sa droite.
Encadrée par eux, Angélique fit son entrée sur la Place Royale qui était aussi la place du marché de la Basse-Ville, noire de monde.
Son apparition suscita des remous, un silence, puis des cris, des acclamations et des ovations éclatèrent.
L'absence de M. de Frontenac entraînait du désordre dans le protocole.
Angélique distingua les officiels dans le fond de la place autour d'une estrade. Tous vêtus d'atours aux vives couleurs et d'uniformes chamarrés. En l'apercevant, ils oscillèrent dans sa direction et Angélique eut l'impression de les voir s'abattre autour d'elle comme un vol de gros oiseaux des îles.
Elle fut entourée aussitôt de souhaits et de compliments chaleureux, de protestations d'amitié, de propositions à se désaltérer, à s'asseoir, d'être menée au gouverneur qui n'était pas là, en attendant d'être présentée aux uns et aux autres, tous importants.
On les guida vers l'estrade qui était dressée au centre de la Place Royale et sur laquelle étaient disposées des tables nappées de blanc et surchargées de gobelets et de pichets d'étain, de verres et de hanaps dont le cristal miroitait au soleil d'hiver et d'aiguières de vermeil.
S'il n'avait fallu que ce détail à Angélique pour lui rappeler qu'elle se trouvait en Nouvelle-France et non en Nouvelle-Angleterre, il eût suffi. Car la Place Royale étant également la place du marché de la Basse-Ville, l'estrade en son centre devait servir plus communément aux punitions et aux exécutions capitales, rares, il est vrai. On s'était contenté de retirer le banc et les chaînes du pilori assis et de draper l'échafaud de beaux tapis.
Quatre barriques de vin des îles étaient posées sur des tréteaux bas et mises en perce, ainsi qu'une impressionnante rangée de fiasques de rhum des Antilles alignées sur les tables.
– Monsieur de Peyrac nous a fait présent de ces vins excellents, expliqua à Angélique une dame avenante et qui paraissait très active. Il nous les a fait porter de grand matin avec sa chaloupe ainsi que ce rhum chaleureux et des liqueurs pour les dames.
Ainsi s'expliquait la joviale exubérance qui régnait. Angélique se demanda si ce n'était pas avec intention que Joffrey, dès la prime aube, avait entrepris de régaler la population de Québec.
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