Elle fit remarquer à Mlle d'Hourredanne que son souper allait refroidir. Ses instincts de garde-malade souffraient de ne pouvoir mettre un peu d'ordre dans ce lit submergé de paperasses et elle aurait préféré voir cette frêle petite femme boire un bon lait de poule.
Elle alla jusqu'à la cheminée tisonner les braises et y posa deux bûches. Les flammes crépitèrent joyeusement.
– J'ai reçu un certain Monsieur de La Ferté que vous intéressez fort, continuait la vieille demoiselle. Il n'est venu qu'afin de pouvoir vous guetter de ma maison.
Angélique tressaillit. Elle avait bien cru voir en effet Vivonne et ses comparses rôder dans les parages.
– Lui et ses compagnons sont fort déplaisants. Je crains qu'ils n'aient le mal napolitain comme tous ces gentilshommes de la Cour. On dit que le poivre est un bon remède contre ces affections dues à la flèche empoisonnée de Vénus. Mais cela fait éternuer...
Elle pressa Angélique de lui trouver une panacée à l'horrible maladie.
Angélique ne voyait pas pourquoi la vieille demoiselle redoutait tellement le mal napolitain, elle qui ne quittait pas son lit, menait une vie de recluse et, malgré une grâce évidente, était d'un âge qui la mettait à l'abri des passions.
Elle promit à Mlle d'Hourredanne de lui apporter toutes sortes de plantes rassurantes.
– Eh bien c'est entendu ! Revenez. Et quand la neige tombera en abondance et nous isolera, traversez la rue et venez le soir, je vous ferai lecture de cette merveilleuse histoire, La princesse de Clèves. La plume de Madame de La Fayette est divine. Son style est un régal. Vous aurez de l'agrément.
Elle ajouta.
– ... J'ai été lectrice de la Reine.
*****
C'en est fait ! J'ai vu la séductrice, écrivit Mlle d'Hourredanne. Elle s'est tenue à deux pas devant moi.
Nous avons eu une conversation à bâtons rompus. Je voulais la prendre en défaut, la voir grimacer, s'assombrir, dévoiler ses batteries d'orgueil ou de revanche, ses détours égoïstes et dominateurs, Comme il semble qu'une personne annoncée si dangereuse doit en posséder. J'en ai donc été pour mes frais de sarcasmes.
Bref, j'ai succombé au charme, sans que je puisse définir de quoi il retourne. Sa beauté émeut, il est vrai. On est toujours désarmé par une certaine perfection de corps et de visage, l'harmonie des gestes, d'une démarche. La vue de la beauté repose et satisfait notre nostalgie du paradis terrestre. Mais cela ne suffirait pas : Est-ce son regard ? J'ai moins retenu la nuance de ses yeux dont on parle tant que leur expression. Elle me considérait avec attention et je vis qu'elle était heureuse de me connaître et pas seulement pour s'attirer mes bonnes grâces. Je la sentis préoccupée de ma santé, ce qui me touche.
Cela me change des bons amis qui prennent mes maux à la légère et qui me disent « Levez-vous ! Levez-vous ! » Comme s'il y avait tellement de nécessité à ce qu'il y ait une personne de plus à caqueter dans les rues de Québec.
L'enfant, sa fille, ne me plaît pas. Elle est très importante pour la mère, trop importante pour une femme qui ne devrait pas avoir des faiblesses de ce genre.
L'enfant observe aussi, mais elle est différente. On ne dirait pas que c'est leur fille.
Dieu, que j'aime philosopher et me pencher sur les finesses et les contradictions de l'être humain. Comme Madame de La Fayette dans ce beau récit dont vous m'avez envoyé l'inédit.
Notre monde s'enfonce dans l'obscurité et les glaces. Tout se brouille. C'est pourquoi je reste dans mon lit. Le gel éclate au-dehors, les grandes tempêtes sont proches.
Tout à coup, je pense à Madame de Peyrac et je suis saisie de crainte. Pourvu que la Mère Madeleine ne reconnaisse pas en elle la femme maléfique de sa vision !
Madame de Peyrac est très forte. Mais les jésuites ne sont-ils pas plus forts encore ?
Quatrième partie
Le couvent des ursulines
Chapitre 35
Le vent était violent et Angélique, tout en se rendant, par les rues, vers le couvent des ursulines où elle allait rencontrer la Mère Madeleine, était obligée de s'arcbouter et de se cramponner aux pans de son manteau gonflé comme une voile. Pourtant, lorsqu'on levait les yeux, le ciel se révélait d'une étrange pureté, lisse, presque sans trace de nuages. Mais l'on n'en éprouvait pas de sérénité, car l'on devinait que, dans les lointains de l'espace, à des hauteurs incommensurables, se perpétraient des cataclysmes glacés. Le firmament dans sa limpidité cristalline touchée d'or parlait de déserts interdits à l'homme, d'un enfer inconcevable et pire peut-être que celui décrit par les théologiens, l'enfer du froid.
Angélique marchait vite, comme en union avec cette annonce de phénomènes dévastateurs dont les prémices commençaient à vider les rues. Tandis qu'elle se hâtait à la fois portée par le vent et une fièvre intérieure, qui prenait le pas sur l'inquiétude, elle se disait qu'il n'y aurait pas une accusation de la Mère Madeleine qu'elle ne se sentait la force de réduire en charpie.
La convocation lui avait été portée par un clerc de l'évêché. Monseigneur de Laval l'avertissait qu'il s'était entremis avec les dames ursulines dès la fin de la neuvaine pour l'amende honorable. Les religieuses lui avaient fait savoir qu'elles recevraient volontiers Mme de Peyrac aujourd'hui à l'heure qui lui conviendrait mais, de préférence, après vêpres et avant l'office du soir.
Angélique était chez elle ce jour-là afin d'initier Suzanne à quelques travaux tels que fourbir les cuivres, frotter les étains, faire briller les meubles fragiles.
Même si l'ursuline l'accusait formellement, tombait en crise et en pâmoison sur le plancher, elle garderait son sang-froid, ce qui serait la meilleure réponse à infliger à toutes ces comédies.
Elle scruta ses traits dans le miroir, étudia le visage qu'elle allait offrir à l'examen de la visionnaire, ses yeux verts un peu trop brillants, et elle tapota son col de dentelle. Puis sous le coup d'une impulsion, elle choisit deux pendants d'oreilles, deux petites boules d'or reliées par quelques perles, qu'elle fixa à ses lobes.
Elle ne voulait se présenter ni humble ni provocante. Seulement avec son visage à elle. De femme. De grande dame.
Sur sa coiffeuse, elle laissait à disposition une cassette contenant quelques fards, des parures. Elle se mit un peu de rose aux joues et aux lèvres.
Tout le temps qu'elle demeura devant le miroir, Suzanne, la jeune femme canadienne, se tint debout à quelques pas d'elle, ne quittant pas de ses prunelles très noires ce visage où se jouait un débat intérieur.
Lorsque Mme de Peyrac se retourna, elle lui tendit aussitôt son manteau et l'aida à s'en revêtir et à bien rabattre le capuchon.
Elle était partie d'un bon pas sans attendre le clerc envoyé par l'évêché. Monseigneur de Laval serait-il présent à l'entrevue ? se demandait-elle. Ne le souhaitant pas, elle préférait être seule en face de la religieuse.
Elle évita la place de la Cathédrale et coupa par un sentier de terre qui passait devant le moulin des Jésuites. Les ailes de celui-ci tournaient à une allure folle. Elle déboucha sur la Place d'Armes à l'autre extrémité de laquelle le château Saint-Louis et les remparts de sa cour de garde se dressaient. Le vent devenait cinglant et tourbillonnait.
Angélique vit des soldats qui couraient et se hélaient. En se retournant, elle faillit pousser un cri. Un nuage violâtre, énorme, montait de l'horizon à une vitesse incroyable. Son aile s'étendait déjà sur les côtes blanchies de Beaupré, de l'île d'Orléans et du Saint-Laurent gelé. On eût dit l'escadron du dieu des Ténèbres lancé à l'assaut de la Terre.
Mais après avoir tourné l'angle du mur de la Prévôté, tout changeait. À croire qu'elle avait rêvé. Le vent tombait et l'on découvrait, à l'orée de ce premier chemin qui avait été creusé dans la forêt canadienne et que l'on appelait toujours la Grande Allée bien qu'il fût aujourd'hui une large rue bordée de maisons, l'ouest brillant d'un soleil suave à peine atténué et dont les rayons pâles faisaient miroiter l'ardoise mouillée des toits.
Comme elle approchait du monastère des ursulines, la silhouette d'un jésuite se détacha de l'ombre des murs et se porta à sa rencontre. Angélique reconnut le religieux qui avait attiré son attention le jour du Te Deum par ses mains mutilées et son expression d'innocence hautaine.
– Je suis le Père Jorras, se présenta-t-il, aumônier chez ces dames ursulines et confesseur de la Mère Madeleine de la Croix qui a souhaité vous rencontrer aujourd'hui, Madame.
De toute évidence, il serait présent à l'entretien. Le jésuite échangea quelques paroles de salutations avec le séminariste qui les rejoignait enfin. Elle comprit que, lui aussi, à la demande de l'évêque, assisterait à l'entrevue, que ces ecclésiastiques courtois et prudents ne nommaient pas confrontation. Son nom l'éclairait sur les motivations de l'évêque à l'envoyer près d'elle. Il s'appelait Didace Morillot. Ce n'était pas un séminariste mais ce jeune prêtre que Monseigneur avait désigné comme futur exorciste du diocèse.
La « rencontre » avec la Mère Madeleine devait lui offrir une occasion de faire ses premières armes dans ce cas douteux de démonologie. Didace Morillot expliquait.
– Monseigneur m'a prié de me trouver céans afin de pouvoir lui transmettre un compte rendu précis des questions et réponses échangées. Je suis chargé de consigner le procès-verbal, ajouta-t-il en désignant un sac qui devait contenir des papiers et des plumes.
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