Bérengère de La Vaudière en avait les larmes aux yeux, ce qui les rendait plus brillants encore et plus noirs.
Toutes, dans l'ensemble, levaient sur Joffrey un regard extasié. Il se défendait, en souriant, de n'avoir eu que le geste naturel de remercier tant de charmantes personnes de leur aimable accueil.
Angélique qui arrivait les joues roses de la course répondit distraitement aux salutations et se jeta vers Joffrey. Il lui semblait qu'il y avait trop longtemps qu'elle ne l'avait vu.
– Mais, que devenez-vous ? lui demanda-t-elle, tourmentée de l'envie irrésistible de l'embrasser et de le serrer sur son cœur.
– Et vous-même, Madame ?
– J'ai rendu visite à l'évêque.
– Comment l'entrevue s'est-elle déroulée ?
Angélique reconnut qu'elle avait passé une matinée passionnante avec Marguerite Bourgeoys, mais qu'elle n'avait pas encore vu l'évêque.
M. de Frontenac arrivant baisa les deux mains d'Angélique, l'une après l'autre, et la fit asseoir à sa droite. Mme de Castel-Morgeat était à sa gauche. Elle avait le visage tuméfié et personne n'osait la regarder.
Après le repas, le gouverneur proposa une promenade en son jardin qui était situé un peu plus haut, sur le revers du Mont-Carmel.
Angélique abandonna la compagnie, elle voulait en terminer avec l'évêque.
*****
Monseigneur de Laval ressemblait à Bossuet. Le pasteur de la Nouvelle-France avait sa stature robuste, l'abord direct, l'intelligence prompte, alimentée par une culture que l'on sentait vaste et diverse.
Une fine moustache à peine esquissée, une virgule de poils entre lèvre et menton soulignaient la bouche belle et autoritaire. Le nez busqué, le front haut sous sa calotte épiscopale auraient pu lui donner un air de domination si les paupières un peu tombantes n'eussent atténué l'éclat des yeux, leur communiquant un regard songeur et bienveillant.
Comme le grand aumônier de la Cour, il montrait à la fois de la simplicité et de la grandeur. Cette ressemblance joua pour aider Angélique à se trouver de plain-pied avec son auguste interlocuteur.
Elle fut sur le point de parler la première, mais comme l'évêque au même moment se décidait elle se retint et il fit de même. Ils sourirent.
Angélique exprima alors l'admiration que lui avaient inspirée la cathédrale et la pompe des cérémonies. L'évêque ne cacha pas que ces propos lui étaient agréables. On avait toujours vu grand à Québec. Lorsqu'il était arrivé en son diocèse, Québec ne comptait que quatre-vingt familles, à peine six cents personnes. Mais déjà les jésuites avaient donné aux manifestations de la piété et du culte cette tournure élevée dont toute la mentalité du pays se trouvait imprégnée.
Gràce à leurs soins et à ceux des ursulines, la génération, grandie au pays, savait lire, écrire, chanter le latin. Cette base de choix assez inhabituelle l'avait encouragé à créer le grand et le petit Séminaire afin d'assurer la formation de jeunes clercs parmi les enfants du pays. Il fallait les détourner de la désastreuse vocation de courir les bois dès l'âge de quinze ans.
Il laissa entendre qu'il était bien nécessaire aux colons de la Nouvelle-France d'avoir un pasteur dans les formes ecclésiastiques connues d'épiscopat, car les jésuite étaient surtout des missionnaires s'intéressant aux Indiens et les premiers colons n'étaient pas vraiment tenus en main avec assez de rigueur. Les jésuites pensaient plus à la conquête des âmes des Indiens qu'à maintenir dans l'obéissance celles de leurs compatriotes... Ils enrôlaient tout le monde dans leurs expéditions alors qu'un humble chrétien doit rester à l'ombre de son clocher et sous la houlette de son pasteur afin de pouvoir jouir de l'aide des sacrements, sans lesquels il sombre dans toutes les tentations dont celle du paganisme le guettait sans relâche sous ces cieux.
Cette introduction parut à Angélique l'encourager à parler de la Mère Madeleine. Le visage de l'évêque devint plus grave. Mais Angélique avait compris qu'il s'était déclaré contre le Père d'Orgeval, ce qui l'obligeait à l'aider, elle.
– L'affaire est d'importance. Elle a soulevé tant de passions.
– Raison de plus pour en finir tout à fait en rassurant sur mon compte, par l'avis de la Mère Madeleine ceux qui auraient encore des doutes.
– Vous semblez bien assurée que celui-ci vous sera favorable ?
– Vous voulez dire : assurée qu'elle ne me prendra pas pour une démone ? Oui, je le suis, si cette religieuse est honnête... Et vous l'êtes aussi, Monseigneur. Sinon, vous ne m'auriez pas reçue.
L'évêque eut un petit sourire, mais se rembrunit aussitôt.
– Hélas ! soupira-t-il.
– Que voulez-vous dire ? interrogea Angélique alarmée.
– Il vous faudra attendre. À vrai dire, j'aurais aimé répondre sans tarder à votre supplique. Il se trouve que cette démarche de votre part me plaît. Mais un incident pénible, plus dramatique va vous obliger à y surseoir. Avant-hier, la nuit même de votre arrivée, on a dérobé, chez les dames ursulines, une boîte d'hosties.
Sur le moment Angélique ne vit pas en quoi cela empêcherait son entrevue et pourquoi il laissait tomber ces mots d'une voix si lugubre. Puis par intuition, se souvenant de la conversation qu'elle avait eue, la veille, avec le maître d'hôtel Tissot, elle comprit les raisons profondes du souci de l'évêque.
– Craindriez-vous, Monseigneur, que ces hosties n'aient été volées en vue d'être utilisées pour des opérations magiques ?
– C'est toujours en ce dessein que les hosties sont dérobées, fit tristement l'évêque.
– Mais à Québec, Monseigneur, est-ce possible ? C'est une terre neuve, dévote, austère... l'emprise de mœurs si corrompues ne peut s'y répandre.
– Hélas ! répéta l'évêque. Les temps ne sont plus les mêmes. Autrefois, dans ce pays, le vice était quasiment inconnu. On n'y vivait que de piété et de religion, d'accord et de charité. Mais les parjures et la fourberie des marchands l'ont emporté sur la droiture et la sincérité des missionnaires. On y reçoit aussi trop de brebis galeuses, de personnes scandaleuses...
– Monseigneur, ne voudrait-on pas m'empêcher de voir la Mère Madeleine afin de me nuire ?
Il secoua la tête, apaisant.
– L'entrevue n'est que repoussée, dit-il. À la suite du vol, les dames ursulines ont entrepris une neuvaine pour faire amende honorable contre le mal qui risque d'être commis avec le pain sacré. Il faut attendre que le temps de la pénitence soit révolu. Mais je n'aurai garde d'oublier votre requête, ajouta-t-il.
Angélique le remercia chaleureusement. Elle avait eu raison de s'être adressée à l'évêque en premier lieu. Il semblait avoir une vue juste et saine de la situation.
Il se révélait un personnage sensible et intéressant. Probe, vertueux, homme d’Église et né pour l'être. On disait qu'il avait reçu la tonsure à l'âge de neuf ans.
Il était bien l'homme solide et intègre qu'il fallait à la tête de son immense diocèse, trois ou quatre fois la France...
– Monseigneur, lui dit-elle, puis-je vous poser une question de simple curiosité. Pourquoi vous donne-t-on le titre d'évêque de Pétrée, qui, autant que je crois en être instruite, est une ville de Mésopotamie, aux Échelles du Levant, alors que vous êtes évêque du Canada ?
Monseigneur sourit encore et dit que cet étrange chassé-croisé était le fruit des compétitions acharnées dont sa candidature avait été l'objet. L'évêque de Rouen, dont il dépendait, avait refusé de le nommer parce qu'il avait été proposé par les Missions étrangères et soutenu par Rome.
– La plupart des fondateurs de l'Institut des Missions étrangères étant de mes amis intimes me voulaient à ce poste. Pour ma part, j'avais demandé le Tonkin. On trancha le différend par l'application d'un article du droit canonique qui me permettait de me passer de l'ordination de l'évêque de Rouen. Je fus ordonné évêque « in partibus infidelium » ou, par abréviation, évêque « in partibus ».
« C'est une convention. L'évêque « in partibus » est promu à un évêché qui est situé dans les pays devenus infidèles, c'est depuis le XIIe siècle, c'est-à-dire quand les musulmans s'emparèrent de villes d'Orient ou d'Afrique qui appartenaient aux grands royaumes chrétiens de Byzance ou de Jérusalem. On « continue » d'y nommer des évêques qui ne pouvaient y exercer leurs fonctions et résidaient dans les pays catholiques mais qui, par leur présence, semblaient les conserver au royaume de Dieu.
« C'est ainsi que le nonce du Pape, Piccolomini, lui-même évêque de Césarée, en Palestine, me nomma évêque de Pétrée, dans une touchante cérémonie qui eut lieu à Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Je pouvais ensuite recevoir le vicariat de la Nouvelle-France.
– Les cabales et les conflits ne sont donc pas exclus des domaines où œuvrent les serviteurs de Dieu ?
– Autant là qu'ailleurs, dit l'évêque, philosophe. Et peut-être plus encore. Mais Dieu rachète la mesquinerie des êtres.
Angélique ne lui cacha pas l'admiration que lui avait inspirée la magnificence des cérémonies. Cela le toucha. Il parla avec plus de confiance. Ce qui était son plus grand souci, c'était de voir les traitants de fourrures porter de l'alcool aux sauvages qui se laissaient aller à de terribles excès.
– Malheureusement, les sauvages veulent de l'alcool en échange de leurs pelleteries, dit Angélique. Ils disent que cela les met en communication avec l'Au delà. Et il est difficile de leur faire comprendre le tort qu'ils se causent.
L'évêque ne la suivit pas sur ce terrain. Dans cette affaire, les Blancs étaient coupables, les sauvages aussi et tout le monde devait faire pénitence.
– Le plus simple serait de ne pas leur en porter, trancha-t-il.
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