– Émeraudes, dit-il. En harmonie avec vos yeux. Tout cet or est insolent, d'un éclat un peu lourd. Vos yeux l'allègent, lui donnent vie. Il faut deux pendants d'oreilles, et le carcan d'or et d'émeraude. Vous pouvez mêler aux bagues quelques diamants.

Penchée sur ses écrins, Angélique s'absorba dans le choix des bijoux. Elle n'était pas encore blasée, et tant de profusion la ravissait toujours.

Lorsqu'elle se retourna, le comte de Peyrac attachait son épée à son baudrier constellé de diamants.

Elle le regarda longuement et un frisson insolite la parcourut.

– Je crois que la Grande Mademoiselle n'a pas tout à fait tort lorsqu'elle dit que vous avez un aspect terrifiant.

– Il serait vain d'essayer de camoufler ma disgrâce, dit le comte. Si j'essayais de m'habiller comme un mignon, je serais ridicule et pitoyable. Alors j'accorde mes toilettes à mon visage.

Elle regarda ce visage. Il était à elle. Elle l'avait caressé ; elle en connaissait les moindres sillons. Elle sourit, murmura :

– Mon amour !

Le comte était entièrement vêtu de noir et d'argent. Son manteau de moire noire était voilé d'une dentelle d'argent retenue par des points de diamants. Il laissait voir un pourpoint de brocart d'argent orné de dentelles noires d'un point très recherché. Les mêmes dentelles en trois volants retombaient aux genoux sous la rhingrave de velours sombre. Les souliers portaient des boucles de diamants. La cravate, qui n'était pas en forme de rabat, mais de large nœud, était également rebrodée de très petits diamants. Aux doigts une multitude de diamants et un seul très gros rubis. Le comte se coiffa de son feutre à plumes blanches et demanda si Kouassi-Ba s'était bien chargé des présents qu'on devait offrir au roi pour sa fiancée. Le Nègre était dehors, devant la porte, objet d'admiration de tous les badauds avec son pourpoint de velours cerise, son ample pantalon à la turque et son turban, tous deux de satin blanc. On se montrait son sabre courbe. Il portait sur un coussin une cassette de très beau maroquin rouge clouté d'or.

*****

Deux chaises à porteurs attendaient le comte et Angélique.

On se rendit rapidement à l'hôtel où le roi, sa mère et le cardinal étaient descendus. Comme tous les hôtels de Saint-Jean-de-Luz, c'était une étroite maison à l'espagnole, encombrée de balustrades et de rampes torses en bois doré. Les courtisans débordaient sur la place, où le vent du large secouait les plumes des chapeaux, apportant par bouffées le goût salin de l'océan.

Angélique sentit son cœur battre à grands coups en franchissant les marches du seuil.

« Je vais voir le roi, pensa-t-elle, la reine mère ! Le cardinal ! »

Comme il avait toujours été proche d'elle, ce jeune roi dont parlait la nourrice, ce jeune roi assailli par les foules méchantes de Paris, en fuite à travers la France ravagée de la Fronde, ballotté de ville en ville, de château en château, au gré des factions des princes, trahi, abandonné et finalement victorieux. Maintenant, il recueillait le fruit de ses luttes. Et, plus encore que le roi, la femme qu'Angélique apercevait au fond de la salle, dans ses voiles noirs, avec son teint mat d'Espagnole, son air à la fois distant et amène, ses petites mains parfaites posées sur la robe sombre, la reine mère savourait l'heure du triomphe.

Angélique et son mari traversèrent la pièce, au parquet brillant. Deux négrillons soutenaient le manteau de cour de la jeune femme, qui était d'un drap d'or frisé et ciselé contrastant avec le lamé brillant de la jupe et du corsage. Le géant Kouassi-Ba les suivait. On y voyait mal, et il faisait très chaud à cause des tapisseries et de la foule.

Le premier gentilhomme de la maison du roi annonça :

– Comte de Peyrac de Morens d'Irristru.

Angélique plongea dans sa révérence. Le cœur lui battait dans la gorge. Il y avait devant elle une masse noire et une masse rouge : la reine mère et le cardinal.

Elle pensait :

« Joffrey devrait s'incliner plus profondément. Tout à l'heure, il saluait si bellement la Grande Mademoiselle. Mais devant le plus grand, il affecte de tirer seulement un peu le pied... Binet a raison... Binet a raison... »

C'était stupide de penser ainsi au brave Binet et de se répéter qu'il avait raison. Pourquoi donc, au fait ?

Une voix dit :

– Nous sommes heureux de vous revoir, comte, et de complimenter... d'admirer madame, dont on nous a déjà dit si grand bien. Mais, ce qui est contraire aux lois, nous constatons cette fois que l'éloge n'atteint pas à la réalité.

Angélique leva les yeux. Elle croisa un regard brun et brillant qui la dévisageait avec beaucoup d'attention : le regard du roi.

Vêtu avec richesse, le roi était de taille moyenne, mais il se tenait si droit qu'il paraissait plus imposant que tous ses courtisans. Angélique lui trouva le teint légèrement grêlé, car il avait eu la petite vérole dans son enfance. Son nez était trop long, mais sa bouche était forte et caressante sous la ligne brune, à peine tracée, d'une petite moustache. La chevelure couleur de châtaigne, foisonnante, retombant en cascades bouclées, ne devait rien aux artifices des postiches. Louis avait la jambe belle, des mains harmonieuses. On devinait, sous les dentelles et les rubans, un corps souple et vigoureux, rompu aux exercices de la chasse et de l'académie.

« Ma nourrice dirait : c'est un beau mâle. On a raison de le marier », pensa Angélique. Elle se reprocha derechef des pensées aussi vulgaires dans ce moment solennel de son existence.

La reine mère demandait à voir l'intérieur de la cassette que Kouassi-Ba venait de présenter, agenouillé, le front à terre, dans une posture de Roi Mage. On s'exclama devant le petit nécessaire de frivolités avec ses boîtes et peignes, ciseaux, crochets, cachets, le tout d'or massif et d'écaillé des îles. Mais la chapelle de voyage enchanta les dames dévotes de la suite de la reine mère. Celle-ci sourit et se signa. Le crucifix et les deux statuettes de saints espagnols, ainsi que la lampe veilleuse et le petit encensoir étaient d'or et de vermeil. Et Joffrey de Peyrac avait fait peindre par un artiste d'Italie un triptyque de bois doré représentant les scènes de la Passion. Les miniatures étaient fines, d'une grande fraîcheur de teintes. Anne d'Autriche déclara que l'infante avait la réputation d'être fort pieuse et ne pouvait manquer d'être ravie d'un tel présent.

Elle se tourna vers le cardinal pour lui faire admirer les peintures, mais celui-ci s'attardait à manier les petits instruments du nécessaire qu'il faisait miroiter en les tournant doucement entre ses doigts.

– On dit que l'or vous coule du creux des mains, monsieur de Peyrac, comme la source d'un rocher ?

– Cette image est exacte, Éminence, répondit le comte doucement : comme la source d'un rocher..., mais d'un rocher que l'on aurait miné à grand renfort de mèches et de poudre, creusé jusqu'à des profondeurs insoupçonnées, que l'on aurait bouleversé, concassé, aplani. Alors, en effet, à force de labeur, de sueur et de peine, il se peut que l'or jaillisse et même en abondance.

– Voici une fort belle parabole sur le travail qui porte ses fruits. Nous ne sommes pas accoutumés à entendre des gens de votre rang tenir pareil langage, mais j'avoue que cela ne me déplaît pas.

Mazarin continuait de sourire ; il porta à son visage un petit miroir du nécessaire et y jeta un coup d'œil rapide. Malgré les fards et la poudre dont il essayait de masquer son teint jauni, une moiteur de faiblesse brillait a ses tempes, poissant les boucles de ses cheveux sous sa calotte rouge de cardinal.

La maladie l'épuisait depuis de longs mois ; lui au moins n'avait pas menti lorsqu'il avait pris pour prétexte sa gravelle afin de ne pas se présenter le premier devant le ministre espagnol, don Luis de Haro. Angélique surprit un regard de la reine mère vers le cardinal, un regard de femme anxieuse, qui se tourmente. Sans doute, elle brûlait de lui dire : « Ne parlez pas tant, vous vous fatiguez. C'est l'heure de votre tisane. »

Était-ce vrai qu'elle avait aimé son Italien, la reine si longtemps dédaignée par un époux trop chaste ?... Tout le monde l'affirmait, mais personne n'en était sûr. Les escaliers dérobés du Louvre gardaient bien leur secret. Un seul être peut-être le connaissait, et c'était ce fils âprement défendu, le roi. Dans les lettres qu'ils échangeaient, le cardinal et la reine ne l'appelaient-ils pas : le Confident ? Confident de quoi ?...

– À l'occasion, j'aimerais m'entretenir avec vous de vos travaux, dit encore le cardinal.

Le jeune roi renchérit avec une certaine vivacité :

– Moi aussi. Ce qu'on m'en a dit a éveillé ma curiosité.

– Je suis à la disposition de Votre Majesté et de Son Éminence. L'audience était terminée.

Angélique et son mari allèrent saluer Mgr de Fontenac, qu'ils apercevaient dans l'entourage immédiat du cardinal.

Puis ils firent le tour des hautes personnalités et de leurs relations. Angélique avait l'échiné rompue à force de révérences, mais elle était dans un tel état d'excitation et de plaisir qu'elle ne sentait pas la fatigue. Les compliments qu'on lui adressait ne pouvaient lui faire douter de son succès. Il était certain que leur couple attirait beaucoup l'attention.

Tandis que son mari s'entretenait avec le maréchal de Gramont, un jeune homme de petite taille mais de figure agréable vint se planter devant Angélique.

– Me reconnaissez-vous, ô déesse descendue à l'instant même du char du Soleil ?

– Certes, s'écria-t-elle enchantée, vous êtes Péguilin.

Puis elle s'excusa :

– Je suis bien familière, monsieur de Lauzun, mais que voulez-vous, j'entends parler partout de Péguilin. Péguilin par-ci, Péguilin par-là ! On a pour vous une telle tendresse que, sans vous avoir revu, je me suis mise à l'unisson.