– Je ne puis croire que Sa Majesté soit d'esprit si mesquin.
– Le roi semble doux et honnête, j'en conviens. Mais, qu'on le veuille ou non, il se souvient toujours du temps où les princes du sang lui faisaient la guerre. Et j'en étais, c'est vrai, je ne sais plus pourquoi. Bref, Sa Majesté se méfie de tous ceux qui relèvent la tête un peu trop haut.
– Mon mari n'a jamais cherché à comploter contre le roi. Il s'est toujours conduit en loyal sujet, et il payait à lui seul le quart de tous les impôts du Languedoc.
– Comme vous le défendez avec feu ! J'avoue que son aspect m'effrayait un peu, mais, après m'être entretenue avec lui à Saint-Jean-de-Luz, j'ai commencé à comprendre d'où lui venait le succès qu'il a auprès des femmes. Ne pleurez pas, ma chérie, on vous rendra votre grand Boiteux séducteur, devrais-je harceler de questions le cardinal lui-même et mettre les pieds dans le plat à mon habitude !
Chapitre 5
Angélique se sépara de la Grande Mademoiselle un peu rassérénée. Il fut convenu que celle-ci la ferait chercher dès qu'elle aurait obtenu des renseignements probants. Désireuse de faire plaisir à son amie, la princesse accepta de se charger du petit Giovani qu'elle prendrait parmi ses violons en attendant de le présenter à Baptiste Lulli, le baladin du roi.
– De toute façon, aucune démarche ne pourra aboutir avant l'entrée du roi dans Paris, conclut-elle. Tout est suspendu en prévision des fêtes. La reine mère est au Louvre, mais le roi et la reine doivent rester à Vincennes jusque-là. Cela n'arrange pas les affaires. Aussi ne vous impatientez pas. Je ne vous oublierai pas et vous ferai mander quand il le faudra.
*****
Après l'avoir quittée, Angélique erra un peu dans les couloirs du château avec l'espoir de rencontrer Péguilin de Lauzun, qu'elle savait très assidu auprès de Mademoiselle. Elle ne le vit pas, mais croisa Cerbalaud. Celui-ci promenait une mine assez longue. Lui non plus ne savait que penser de l'arrestation du comte de Peyrac ; tout ce qu'il pouvait dire c'est que personne n'en parlait, ni ne semblait la soupçonner.
– On le saura bientôt, affirma Angélique, confiante en la Grande Mademoiselle, cette trompette aux cent bouches.
Rien ne lui semblait plus terrible maintenant que la muraille de silence dont s'environnait la disparition de Joffrey. Si l'on en parlait, il faudrait bien que la chose vînt au jour.
Elle s'informa du marquis d'Andijos. Cerbalaud dit que celui-ci venait de se rendre au Pré-aux-Clercs pour un duel.
– Il se bat en duel ? s'écria Angélique effrayée.
– Pas lui, mais Lauzun et d'Humières ont une affaire d'honneur.
– Accompagnez-moi, je veux les voir.
Comme elle descendait l'escalier de marbre, une femme aux grands yeux noirs l'accosta. Elle reconnut la duchesse de Soissons, l'une des Mancini : Olympe, nièce du cardinal.
– Madame de Peyrac, je suis heureuse de vous revoir, fit cette belle dame, mais, plus encore que vous-même, c'est votre garde du corps, noir comme l'ébène, qui m'enchante. J'avais déjà formé le projet à Saint-Jean-de-Luz de vous le demander. Voulez-vous me le céder ? Je vous le paierai bon prix.
– Kouassi-Ba n'est pas à vendre, protesta Angélique. Il est vrai que mon mari l'a acheté tout petit, à Narbonne, mais il ne l'a jamais considéré comme un esclave, et il lui paie des gages comme à un domestique.
– Je lui en paierai aussi, et de fort bons.
– Je regrette, madame, mais je ne puis vous donner satisfaction. Kouassi-Ba m'est utile et mon mari serait désolé de ne pas le trouver à son retour.
– Eh bien, tant pis, fit Mme de Soissons avec un petit geste déçu.
Elle jeta encore un regard d'admiration sur le géant de bronze qui se tenait impassible derrière Angélique.
– C'est inouï combien un tel suivant peut faire ressortir la beauté, la fragilité et la blancheur d'une femme. N'est-ce pas votre avis, très cher ?
Angélique aperçut alors le marquis de Vardes qui se dirigeait vers le groupe. Elle n'avait aucune envie de se retrouver en face de ce gentilhomme, qui s'était montré avec elle brutal et odieux. Elle ressentait encore la brûlure de ses lèvres qu'il avait mordues méchamment.
Aussi s'empressa-t-elle de saluer Mme de Soissons et de descendre vers les jardins.
– J'ai l'impression que la belle Olympe jette des regards concupiscents sur votre Nègre, dit Cerbalaud. Vardes, son amant en titre, ne lui suffit pas. Elle est follement curieuse de savoir comment un Maure fait l'amour.
– Oh ! Dépêchez-vous au lieu de dire des horreurs ! s'impatienta Angélique. Moi, je suis surtout curieuse de savoir si Lauzun et d'Humières ne sont pas en train de s'embrocher.
Combien ces gens légers, à la cervelle vide, au cœur égoïste, la lassaient ! Elle avait l'impression de courir, comme dans un rêve, à la poursuite de quelque chose d'extrêmement difficile, et de s'évertuer en vain à rassembler des éléments épars. Mais tout fuyait, s'évanouissait devant elle.
Les deux compagnons se trouvaient déjà sur les quais, lorsqu'une voix les héla et les retint encore.
Un grand seigneur, qu'Angélique ne connaissait pas, l'aborda et lui demanda quelques instants d'entretien.
– Oui, mais faites vite.
Il l'attira à l'écart.
– Madame, je suis envoyé par SA. R. Philippe d'Orléans, frère du roi. Monsieur désirerait vous entretenir au sujet de M. de Peyrac.
– Mon Dieu ! murmura Angélique dont le cœur se mit à battre très fort.
Enfin allait-elle savoir quelque chose de précis ? Elle n'aimait guère pourtant le frère du roi, ce petit homme aux yeux mornes et froids. Mais elle se souvenait des paroles admiratives, encore qu'assez ambiguës, qu'il avait prononcées au sujet du comte de Peyrac. Ou'avait-il appris sur le prisonnier de la Bastille ?
– Son Altesse vous attendra ce soir vers l'heure de cinq après midi, continua à mi-voix le gentilhomme. Vous entrerez par les Tuileries et vous vous rendrez au Pavillon de Flore, où Monsieur a ses appartements. Ne parlez à personne de tout ceci.
– Je serai accompagnée de ma servante.
– À votre guise.
Il salua et s'éloigna en faisant claquer ses éperons.
– Quel est ce gentilhomme ? demanda Angélique à Cerbalaud.
– Le chevalier de Lorraine, le nouveau favori de Monsieur. Oui, de Guiche a déplu : il n'était pas assez enthousiaste pour les amours inverties et gardait trop de goût pour le beau sexe. Pourtant le petit Monsieur n'est pas si dédaigneux, lui non plus. On dit qu'après l'entrée du roi on va le marier, et savez-vous qui il épouse ? La princesse Henriette d'Angleterre, la fille du pauvre Charles Ier que les Anglais ont décapité...
Angélique n'écoutait que d'une oreille. Elle commençait à avoir faim. L'appétit chez elle ne perdait jamais ses droits. Elle en avait un peu honte, surtout dans les circonstances présentes. Que mangeait le pauvre Joffrey dans sa noire prison, lui si raffiné ?
Cependant elle jeta un regard autour d'elle dans l'espoir d'apercevoir un marchand de gaufres ou de pâtés chauds, auquel elle achèterait de quoi se restaurer. Leur nouvelle course les avait amenés de l'autre côté de la Seine, près de la vieille porte de Nesle flanquée de sa tour. Il y avait longtemps que n'existait plus le Préaux-Clercs où tant d'étudiants prenaient jadis leurs ébats. Mais il restait encore entre l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés et les anciens fossés un terrain vague, planté de boqueteaux où les jeunes gens pointilleux pouvaient venir laver leur honneur loin du regard indiscret des gens du guet.
En s'approchant, Angélique et Cerbalaud entendirent des cris, et trouvèrent Lauzun et le marquis d'Humières, la chemise ouverte, en tenue de duellistes, et tombant à bras raccourcis sur Andijos, L'un et l'autre racontèrent qu'obligés de se battre, ils avaient été prier en cachette Andijos de venir les séparer au nom de l'amitié, quand ils seraient sur le pré. Mais le traître s'était dissimulé derrière un buisson et avait assisté, en riant comme un fou, aux angoisses des deux « ennemis » qui faisaient traîner les choses en longueur, trouvant qu'une épée était plus courte que l'autre, que les chaussons étaient trop étroits, etc. Finalement ils protestèrent lorsque parut le conciliateur.
– Pour peu que nous n'eussions été gens de cœur, nous aurions eu le loisir cent fois de nous couper la gorge ! criait le petit Lauzun.
Angélique se joignit à eux pour accabler Andijos.
– Croyez-vous que mon mari vous ait entretenu depuis quinze ans pour que vous vous livriez à des facéties stupides pendant qu'il est en prison ? lui cria-t-elle. Oh ! ces gens du Midi !...
Elle l'empoigna, le tira à l'écart et lui enfonçant ses ongles dans le bras, lui ordonna de repartir aussitôt pour Toulouse afin de lui ramener de l'argent dans les plus brefs délais. Assez penaud, il lui avoua qu'il avait perdu tout ce qu'il possédait en jouant la veille au soir chez la princesse Henriette. Elle lui donna cinq cents livres et Kouassi-Ba pour l'accompagner.
Lorsqu'ils furent partis, Angélique s'aperçut que Lauzun et d'Humières, ainsi que leurs témoins, s étaient également éclipsés.
Elle posa la main sur son front.
– Je dois retourner aux Tuileries vers 5 heures, dit-elle à Margot. Attendons par là, dans une taverne où l'on nous donnera à boire et à manger.
– Une taverne ! répéta la servante indignée, madame, ce n'est pas un lieu pour vous.
– Crois-tu que la prison soit un lieu pour mon mari ? J'ai soif et faim. Toi aussi d'ailleurs. Ne fais pas de manières et allons nous reposer.
Elle lui prit le bras familièrement et s'appuya contre elle. Elle était plus petite que Margot, et c'était pour cela sans doute qu'elle s'était longtemps laissé impressionner par la femme de chambre. Maintenant elle la connaissait bien. Vive, véhémente, facilement outrée, Marguerite, dite Margot, vouait à la famille de Peyrac un attachement indéfectible.
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