– Mademoiselle vient de « touer » son mari, avait murmuré, avec son doux accent des Abruzzes, le cardinal Mazarin, lorsqu'on lui apprit la chose.
Ce dernier restait le grand vainqueur d'une crise atroce et folle. Moins d'un an plus tard on revit sa robe rouge dans les couloirs du Louvre, mais il n'y eut plus de « mazarinades ». Tout le monde était à bout de forces.
Angélique atteignait dix-sept ans lorsqu'elle apprit la mort de sa mère. Elle pria beaucoup à la chapelle, mais ne pleura point. Elle réalisait mal qu'elle ne reverrait jamais cette silhouette passant dans sa robe grise et son foulard noir sur lequel se posait en été un chapeau de paille démodé. Officiante du jardin et du verger, Mme de Sancé avait peut-être prodigué plus de soins et de caresses à ses poiriers et à ses choux qu'à ses nombreux enfants.
*****
Ce fut à l'occasion de la mort de sa mère qu'Angélique revit ses deux frères Raymond et Denis, car ils vinrent la lui annoncer. La jeune fille les reçut au parloir, derrière les froides grilles qu'exigeait l'ordre des ursulines.
Denis était maintenant au collège. En grandissant, il s'était mis à ressembler à Josselin, au point qu'elle crut un moment revoir son frère aîné tel qu'elle en gardait le souvenir, avec son uniforme noir d'écolier et son encrier de corne à la ceinture. Elle était tellement frappée de cette ressemblance, qu'après avoir salué l'ecclésiastique qui accompagnait son frère, elle ne prit pas garde à lui, et qu'il dut se nommer.
– Je suis Raymond, Angélique, tu ne me reconnais pas ?
Elle fut presque intimidée. Dans son couvent, extrêmement rigoriste en regard de tant d'autres, les religieuses considéraient les prêtres avec une servilité dévotieuse qui n'était pas exempte de l'instinctive soumission féminine à l'égard de l'homme. S'entendre tutoyer par l'un d'eux la troublait. Et c'était elle maintenant qui baissait les yeux tandis que Raymond lui souriait. Avec beaucoup de tact, il la mit au courant du malheur qui les frappait tous et parla très simplement de l'obéissance qu'on devait à Dieu. Il y avait quelque chose de changé dans sa longue physionomie au teint mat, aux yeux clairs et ardents.
Il dit aussi que leur père avait été fort déçu que sa vocation religieuse à lui, Raymond, se maintînt durant les dernières années qu'il avait passées chez les jésuites. Josselin parti, on espérait sans doute que Raymond reprendrait le rôle d'héritier du nom. Mais le jeune homme avait renoncé à son héritage en faveur de ses autres frères, et avait prononcé ses vœux. Gontran aussi décevait le pauvre baron Armand. Loin de vouloir se rendre aux armées, il était parti pour Paris étudier on ne savait trop quoi. Il faudrait donc attendre Denis, qui avait treize ans, pour voir le nom de Sancé retrouver l'éclat militaire de tradition dans les familles de haut lignage.
Tout en parlant, le père jésuite regardait sa sœur, cette jeune fille qui, pour l'entendre, appuyait contre les froids barreaux son visage au teint de rose, et dont les yeux étranges prenaient dans l'ombre du parloir une limpidité d'eau marine. Il eut une sorte de pitié dans la voix quand il interrogea :
– Et toi, Angélique, que vas-tu faire ?
Elle secoua ses lourds cheveux aux reflets d'or et répondit avec indifférence qu'elle ne savait pas.
*****
Un an plus tard Angélique de Sancé fut de nouveau demandée au parloir. Ce fut le vieux Guillaume, à peine plus blanc qu'au temps jadis, qu'elle y trouva. Il avait soigneusement appuyé son inséparable pique contre le mur de la cellule.
Il lui dit qu'il venait la chercher pour la ramener à Monteloup. Elle avait maintenant terminé son éducation. Elle était une jeune fille accomplie, et on lui avait trouvé un mari.
Deuxième partie
Mariage toulousain
(1656 – 1660)
Chapitre 1
Le marquis de Sancé regardait sa fille Angélique avec une satisfaction non dissimulée.
– Ces nonnes ont fait de toi une jeune fille parfaite, ma sauvageonne.
– Oh ! parfaite ! C'est à voir à l'usage, protesta Angélique en retrouvant, pour secouer sa crinière frisée, un geste d'autrefois.
L'air de Monteloup, avec sa douceâtre senteur venue des marais, lui donnait un regain d'indépendance. Elle se redressait comme une fleur étiolée sous une agréable averse.
Mais la vanité paternelle du baron Armand n'acceptait pas de se laisser abattre.
– En tout cas, tu es plus jolie encore que je ne l'espérais. Ton teint est à mon avis plus foncé que ne l'exigeraient tes yeux et tes cheveux. Mais le contraste n'est pas sans charme. J'ai remarqué d'ailleurs que la plupart de mes enfants avaient la même couleur de peau. Je crains que ce ne soit là l'ultime survivance d'une goutte de sang arabe que les gens du Poitou ont en général conservée. As-tu vu ton petit frère Jean-Marie ? On dirait un vrai Maure !
Il ajouta tout à trac :
– Le comte de Peyrac de Morens t'a demandée en mariage.
– Moi ? dit Angélique. Mais je ne le connais pas !
– Aucune importance. Molines le connaît, lui, et c'est le principal. Il me garantit que je ne pouvais rêver, pour une de mes filles, une alliance plus flatteuse.
Le baron Armand rayonnait. Du bout de sa canne, il fauchait quelques primevères du talus, au bord du chemin creux où il se promenait avec sa fille en cette tiède matinée d'avril.
Angélique était arrivée la veille au soir à Monteloup en compagnie de Guillaume, et de son frère Denis. Comme elle s'étonnait de voir le collégien en vacances, il lui dit qu'il avait obtenu un congé pour venir assister à son mariage.
« Qu'est-ce donc que cette histoire de mariage ? » pensa la jeune fille.
Elle ne prenait pas encore l'affaire au sérieux, mais maintenant le ton d'assurance du baron commençait à l'inquiéter.
Il n'avait pas beaucoup changé au cours des dernières années. À peine quelques fils gris se mêlaient-ils à ses moustaches et à la petite touffe de poils qu'il portait sous la lèvre, à la mode du règne de Louis XIII. Angélique, qui s'était attendue à le trouver abattu et incertain à la suite de la mort de sa femme, s'étonnait presque de le voir, en somme, assez en train et souriant.
Comme ils débouchaient sur une prairie en pente dominant les marais desséchés, elle essaya de détourner la conversation qui menaçait de créer un conflit entre eux alors qu'ils venaient à peine de se retrouver.
– Vous m'avez écrit, père, que vous aviez subi de grosses pertes de bétail par les réquisitions et pillages de l'armée durant les années de cette terrible Fronde ?
– Certes, Molines et moi-même avons perdu à peu près la moitié des bêtes et, sans lui, je serais en prison pour dettes, après vente de toutes nos terres.
– Est-ce que vous lui devez encore beaucoup ? s'inquiéta-t-elle.
– Hélas ! sur les 40 000 livres qu'il m'a prêtées jadis, en cinq années de travail acharné, de n'ai pu lui en rendre que 5 000, et encore Molines les refusait-il, prétendant qu'il me les avait abandonnées et que c'était ma part dans l'affaire. J'ai dû me fâcher pour les lui faire accepter.
Angélique fit remarquer avec simplicité que puisque le régisseur lui-même estimait n'avoir pas besoin d'être remboursé, son père avait eu tort de s'entêter dans sa générosité.
– S'il vous a proposé cette affaire, ce Molines, c'est qu'il y gagnait. Ce n'est pas un homme à faire des cadeaux. Mais il possède une certaine droiture, et s'il vous abandonne ces quarante mille livres, c'est qu'il estime que le mal que vous vous êtes donné et les services que vous lui avez rendus, les valent bien.
– Il est vrai que notre petit commerce de mulets et de plomb avec l'Espagne, exempté d'impôts jusqu'à l'océan, marche tant bien que mal. Et les années sans pillage, lorsqu'on peut vendre le reste de la production à l'État, on couvre les frais... C'est vrai.
Il jeta sur Angélique un regard perplexe.
– Mais comme vous parlez net, ma fille ! Je me demande si un tel langage, pratique et même cru, sied à une toute jeune fille à peine sortie du couvent ? Angélique se mit à rire.
– Il paraît qu'à Paris ce sont les femmes qui dirigent tout : la politique, la religion, les lettres, même les sciences. On les appelle les précieuses. Elle se réunissent chaque jour chez l'une d'elles avec de beaux esprits, des savants. La maîtresse de maison est étendue sur son lit et ses invités s'entassent dans la ruelle de l'alcôve, et l'on discute. Je me demande si, lorsque j'irai à Paris, je ne créerai pas une ruelle où l'on parlerait commerce et affaires.
– Quelle horreur ! s'écria le baron franchement choqué. Angélique, ce ne sont tout de même pas les ursulines de Poitiers qui vous ont inculqué de pareilles idées ?
– Elles prétendaient que j'étais excellente en calcul et en raisonnement. Trop même... En revanche, elles déploraient beaucoup de n'avoir pu faire de moi une dévote exemplaire... et hypocrite comme ma sœur Hortense. Celle-ci leur a fait beaucoup espérer qu'elle entrerait dans leur ordre. Mais décidément l'attrait du procureur a été plus grand.
– Ma fille, il ne faut pas être jalouse, puisque ce Molines que vous jugez sévèrement vous a justement trouvé un mari, qui est certainement de beaucoup supérieur à celui d'Hortense.
La jeune fille tapa du pied avec impatience.
– Ce Molines exagère vraiment ! À vous entendre, ne dirait-on pas que je suis sa fille et non la vôtre, pour qu'il prenne si grand soin de mon avenir ?
– Vous auriez vraiment tort de vous en plaindre, petite mule, dit son père en souriant. Écoutez-moi un peu. Le comte Joffrey de Peyrac est un descendant des anciens comtes de Toulouse, dont les quartiers de noblesse remonteraient plus haut que ceux de notre roi Louis XIV. De plus, c'est l'homme le plus riche et le plus influent du Languedoc.
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