Elle le lui prit des mains en lui lançant un regard de défi, examina l'arme. Elle n'était pas chargée. Elle retira la tige qui servait de bourroir.
– Où est l'écouvillon ?
– Que comptez-vous en faire ?
– Il pourrait y avoir de la poussière et cela ferait sauter l'arme.
– Mes pistolets sont toujours bien entretenus madame, mais votre souci est celui d'un bon tireur.
Il déboucla son ceinturon et le jeta sur la table avec ses différentes garnitures : pistolets, poignard, bourses de cuir contenant la poudre ou les balles. Angélique découvrit l'écouvillon dans une fonte. Elle le vissa d'un geste précis et plongea la tige à plusieurs reprises dans le canon. Puis elle fit fonctionner la gâchette, vérifiant la présence de l'étincelle en présentant l'arme du côté de l'obscurité. Après avoir chargé le canon, elle choisit une balle qu'elle fit tourner entre deux doigts pour contrôler sa parfaite rondeur.
– Il manque de la poudre fine d'allumage.
– Vous mettrez à la place ces galettes d'amorces turques.
Angélique obéit.
– Ouvre-moi la fenêtre, Martial.
La nuit avait la clarté insolite que lui donnait la lune tamisée par le brouillard.
– Il y a par là dans cet arbre un oiseau qui ne cesse de pousser un cri désagréable.
Joffrey de Peyrac la considérait avec curiosité. « C'est donc bien vrai qu'elle a guerroyé, se disait-il, contre qui ?... Contre le Roi ?... »
La main fine qui serrait la crosse d'argent était terme, le bras qui soulevait le pesant pistolet le faisait avec aisance.
Le coup partit. Le cri grinçant de l'oiseau se tut.
– Quel coup d'œil ! s'écria le comte. Et quelle vigueur, continua-t-il en lui serrant le bras. Vous avez des muscles d'acier, ma parole ! Décidément notre grand Sachem s'est de plus en plus égaré dans son jugement.
Mais il riait. Elle avait l'impression qu'il était assez fier d'elle. Les enfants qui s'étaient bouché les oreilles, crièrent bravo et voulaient aller ramasser l'oiseau de nuit sacrifié. Le voisinage accourut les en empêcher.
– Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il encore ? Les Indiens ? Les pirates ?
La vue d'Angélique, pistolet en main dans un nuage de fumée provoqua la surprise.
– Ce n'est qu'un jeu, les rassura-t-elle.
– Voici des jeux dont nous avons notre content, grommelèrent des voix.
– Mesdames, êtes-vous satisfaites de vos installations, demanda le comte avec autant d'urbanité qu'un hôte parmi ses invités.
Les pauvres femmes lui répondirent que tout allait bien. Elles le considéraient avec un mélange d'admiration et de crainte. Ce qu'il avait dit lorsqu'il avait rappelé aux orgueilleux bourgeois de La Rochelle, que leurs femmes les valaient bien, les avait conquises à jamais. Ce fut encore Abigaël qui eut le courage de prononcer les paroles que chacune pensait.
– Soyez remercié, monseigneur, pour la grâce insigne que vous nous avez faite en ce jour, malgré nos égarements. Les persécutions dont nous avions été l'objet, la douleur d'avoir quitté nos foyers, la crainte de ne plus rencontrer de main fraternelle pour nous secourir, nous avaient jetés dans l'incertitude et le désarroi. Mais vous avez su le comprendre et nous épargner.
Il lui sourit avec une incroyable gentillesse. Pour Abigaël, il désarmait toujours. En le considérant, Angélique se sentit presque jalouse. Il s'inclinait devant la jeune fille.
– Vous êtes charitable, damoiselle, de prendre à votre compte des erreurs que vous n'avez pas approuvées. Je sais, mesdames, que vous avez essayé de détourner vos époux d'un projet criminel et que vous deviniez voué à l'échec. Quoi qu'on en dise, c'est vous qui avez l'apanage de la lucidité. Sachez en user à bon escient et montrez-vous énergiques, car ici vous vous trouvez sur une terre avec laquelle on ne peut mentir.
Le conseil fut apprécié à sa valeur. Le comte leur souhaita un bon repos et elles se retirèrent. Mme Carrère se précipita à leur suite pour leur chuchoter dans l'ombre une nouvelle qu'elle n'était pas très sûre d'avoir bien comprise : Monseigneur le Rescator et dame Angélique étaient mariés ou bien allaient se marier ou bien venaient de se marier... Enfin, il y avait, des noces dans l'air.
– Je ne sais si vos conseils préparent d'heureux lendemains à leurs époux, dit Angélique d'un air songeur.
– Certes pas. Et j'en suis ravi. C'est ma vengeance exceptionnelle. Les livrer aux poignes énergiques de leurs femmes n'est-ce pas plus terrible, en fin de compte qu'à celles du bourreau ?
– Vous êtes incorrigible, dit-elle en riant.
Il la saisit par la taille à deux mains, l'enleva en l'air et la fit tournoyer.
– Riez... Riez... ma petite mère abbesse... Vous avez un si beau rire !
Angélique poussa un cri. Entre ses mains elle n'avait pas plus de poids qu'un fétu de paille.
– Vous êtes fou !...
Reposée à terre, la tête lui tournait et elle ne pouvait faire autre chose, en effet, que de rire. Les enfants étaient ravis. Ils n'avaient jamais eu droit à tant de spectacles surtout à l'heure du coucher. Ce pays leur plaisait de plus en plus. Jamais ils ne s'en iraient.
– Maman, cria Honorine, est-ce que c'est de nouveau la guerre ?
– La guerre ! Non ! Dieu nous en garde. Pourquoi demandes-tu cela ?
– Tu as tiré avec le gros pistolet.
– C'était pour m'amuser.
– Mais c'est amusant la guerre, dit Honorine d'un air déçu.
– Comment, s'exclama sa mère, tu es contente lorsque tu entends tout ce bruit, que tu vois les gens blessés, morts ?
– Oui, je suis contente, affirma Honorine.
Angélique la regardait avec l'étonnement de toutes les mères qui découvrent l'univers secret de leur enfant.
– Mais... Je croyais que tu étais triste quand tu avais vu Cosse-de-Châtaigne...
L'enfant parut se souvenir de quelque chose. Son visage s'assombrit. Elle soupira.
– Oh ! oui, c'est un peu ennuyeux pour Cosse-de-Châtaigne qu'il soit mort...
Son sourire revint aussitôt.
– Mais c'est amusant quand tout le monde crie et court et tombe. Tout le monde a l'air fâché... La fumée sent bon. Le fusil fait clic ! clac ! clic ! clac ! Tu te disputes avec M. Manigault et il devient tout rouge... et toi tu me cherches partout et tu me serres dans tes bras... Tu m'aimes fort quand c'est la guerre... Tu te mets devant moi pour que les soldats ne me frappent pas. C'est parce que tu ne veux pas qu'on me prenne ma vie. Elle est encore trop petite ; toi, ta vie est déjà longue...
Angélique était partagée entre l'inquiétude et la fierté.
– Je ne sais si c'est vanité maternelle de ma part, mais il me semble qu'elle a des raisonnements extraordinaires pour son âge.
– Quand je serai grande, continua Honorine profitant de ce qu'on l'écoutait enfin avec attention, je ferai toujours la guerre. J'aurai un cheval et un sabre et j'aurai deux pistolets... Comme toi dit-elle en s'adressant à Joffrey de Peyrac, mais les miens ils auront les crosses en or et je tirerai mieux que... mieux que toi encore, conclut-elle avec un regard de défi vers sa mère.
Elle réfléchit.
– Le sang est rouge. C'est une belle couleur.
– Mais c'est horrible, ce qu'elle dit, murmura Angélique.
Le comte souriait en les regardant avec un plaisir toujours surpris de les découvrir différentes. La tendresse, le sentiment maternel qui la désarmaient devant sa fille l'illuminaient d'une jeune naïveté. Elle n'avait jamais été, elle n'avait jamais pu être l'impérieuse rivale de la Montespan, la révoltée courant les chemins creux à la tête de ses troupes et qui levait avec une froide assurance son bras armé du lourd pistolet.
Elle leva les yeux sur lui comme pour lui demander son avis dans une situation qui la dépassait, puis chercha à se rassurer.
– Elle aime la guerre... Après tout c'est un sentiment noble. Mes ancêtres ne la désavoueraient pas.
Tel était son oubli des mauvais jours qu'elle ne s'avisa pas qu'une autre hérédité que la sienne avait pu mettre en sa fille ces goûts exaltants et inquiétants. Le Rescator y songea mais ne dit mot.
Il retira de son doigt une bague d'or ouvragé que surmontait un gros diamant et la tendit à Honorine. L'enfant s'en empara avec avidité.
– C'est pour moi ?
– Oui, damoiselle.
Angélique s'interposa.
– C'est un bijou d'une grande valeur. Elle ne peut en faire un jouet.
– La sauvagerie de la nature qui nous entoure peut nous faire reconsidérer la valeur des choses. Une galette de maïs, un bon feu ont plus de prix qu'une bague pour laquelle on damnerait son âme à Versailles.
Honorine tournait et retournait la bague. Elle la posa sur son front, puis l'enfila sur son pouce, la serra enfin entre ses deux mains.
– Pourquoi fais-tu cela pour moi ? interrogea-t-elle soudain avec passion, c'est parce que tu m'aimes ?
– Oui, damoiselle.
– Pourquoi m'aimes-tu ? Pourquoi ?
– Parce que je suis votre père.
Le visage d'Honorine à cette révélation se transfigura. Elle demeura muette. Sa frimousse ronde refléta toutes les nuances de la surprise la plus émerveillée, de la joie la plus intense, d'un soulagement inexprimable, d'une affection sans bornes. La tête levée, elle considérait avec admiration la noire silhouette de condottière debout à son chevet et la face brune, marquée de cicatrices lui apparut comme la plus séduisante qu'elle eût jamais contemplée.
Elle se tourna subitement vers Angélique.
– Tu vois, je te l'avais bien dit que je le trouverais de l'autre côté de la mer !...
– Ne pensez-vous pas qu'il vous faudrait maintenant dormir ? lui demanda-t-il sans se départir de la considération qu'il lui marquait.
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