La tenant par la main il la conduisit jusqu'au seuil de la grotte.
– Sire, puis-je vous demander des nouvelles de mon fils ?
Le visage du roi s'assombrit.
– Ah ! voici encore un souci de plus causé par votre turbulente famille. J'ai dû me défaire des offices de ce petit page.
– À cause de ma disgrâce ?
– Que non pas. Je n'avais pas l'intention de l'en faire pâtir. Mais sa conduite a donné lieu à mon mécontentement. Par deux fois il a prétendu que M. Duchesne, mon premier maître d'hôtel, voulait m'empoisonner, tout simplement ! Il affirmait avoir vu cet officier mettre une poudre dans ma nourriture et il l'en a accusé avec beaucoup d'éclat. Au feu de son regard et à la netteté de sa voix, on comprend tout de suite qu'il a reçu la hardiesse de sa mère en partage. « Sire, ne mangez pas de ce mets et ne buvez pas de ce vin », a-t-il déclaré fort clairement, alors que l'on venait de terminer l'essai. « M. Duchesne y a mis du poison ».
– Mon Dieu ! soupira Angélique désolée, Sire, je ne sais comment vous exprimer ma confusion. Cet enfant est exalté et imaginatif.
– À la seconde incartade il nous a fallu sévir. Je ne voulais pas punir trop gravement un enfant qui m'intéresse vu l'attachement que je vous porte. Monsieur, étant présent, le trouva plaisant et voulut se l'attacher. Je le lui ai accordé. Votre fils est donc actuellement à Saint-Cloud, où mon frère vient de prendre ses quartiers de printemps.
Angélique passa par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.
– Vous avez laissé mon fils partir dans cette bauge !...
– Madame ! tonna le roi. Encore de vos expressions intolérables !
Il s'adoucit et prit le parti de rire.
– Vous êtes ainsi faite et nul n'y peut rien. Allons, ne grossissez pas les dangers qui menacent votre garçonnet dans cette assemblée assez légère, j'en conviens. Son gouverneur l'abbé le suit partout ainsi que son écuyer. J'ai voulu vous être agréable et je serais au regret d'y être si mal parvenu. Naturellement, vous voulez courir à Saint-Cloud ? Alors demandez-moi l'autorisation, que je puisse vous accorder quelque chose, dit-il en la reprenant dans ses bras.
– Sire, permettez-moi de me rendre à Saint-Cloud.
– Je ferai plus. Je vous confierai un message pour Madame, qui, ainsi, vous recevra et vous retiendra chez elle un jour ou deux. Vous pourrez voir votre fils à loisir.
– Sire, Votre Majesté a pour moi beaucoup de bonté.
– Non, de l'amour, dit le roi gravement. Ne l'oubliez plus, Madame, et ne jouez pas avec mon cœur...
Chapitre 17
Les yeux de Florimond étaient parfaitement limpides.
– Je vous assure, ma mère, que je ne mens pas. M. Duchesne empoisonne le roi. À plusieurs reprises je l'ai vu. Il met sous l'ongle une poudre blanche qu'il fait tomber d'une chiquenaude dans le hanap de Sa Majesté, entre le moment où il a goûté lui-même le vin et celui où il le donne au roi.
– Voyons, mon garçon, telle chose est impossible. Et d'ailleurs le roi n'a souffert d'aucune incommodité à la suite de ces soi-disant empoisonnements.
– Je ne sais. Peut-être s'agit-il d'un poison à longue échéance ?
– Florimond, tu emploies des termes dont tu ignores le sens. Un enfant ne parle pas de choses aussi graves. N'oublie pas que le roi est entouré de serviteurs dévoués.
– Sait-on jamais ! dit Florimond, sentencieux.
Il regardait sa mère avec une indulgence un peu condescendante, qui rappelait celle de Marie-Agnès. Depuis une heure qu'elle s'évertuait à lui faire avouer ses mensonges, Angélique se sentait au bord de la crise de nerfs. Elle n'était décidément pas douée pour entreprendre l'éducation d'un garçon imaginatif. Il avait grandi loin d'elle. Maintenant il suivait son chemin, sûr de lui, et elle avait trop de soucis personnels pour apporter à la question le soin nécessaire.
– Mais enfin, qu'est-ce qui a bien pu te mettre dans la tête ces idées de poison ?
– Tout le monde parle de poison, dit l'enfant candide. L'autre jour Mme la duchesse de Vitry m'a requis pour lui porter la queue de son manteau. Elle allait chez la Voisin, à Paris. J'ai écouté à la porte pendant qu'elle consultait la devineresse. Eh bien, elle demandait du poison pour mettre dans le bouillon de son vieux mari et aussi une poudre pour s'attacher l'amour de M. de Vivonne. Et le page du marquis de Cessac m'a dit aussi que son maître était allé demander le secret de gagner au jeu, et en même temps il a demandé du poison pour son frère, le comte de Clermont-Lodève, dont il doit hériter. Eh bien, acheva Florimond avec triomphe, le comte de Clermont-Lodève est mort la semaine dernière.
– Mon petit garçon, vous rendez-vous compte du tort que vous pourriez vous faire en divulguant à la légère de telles calomnies ? fit Angélique en essayant de garder patience. Personne ne voudra à son service un page qui bavarde ainsi à tort et à travers.
– Mais je ne bavarde pas, s'écria Florimond en tapant le sol de son talon rouge. J'essaie de vous expliquer, à vous. Mais je crois... oui vraiment je crois que vous êtes sotte, conclut-il en se détournant avec un mouvement de dignité blessée.
Il resta à contempler le ciel bleu par la fenêtre ouverte en essayant de contenir le tremblement des lèvres. Il n'allait tout de même pas pleurer comme un bébé ; des larmes de vexation piquaient ses yeux.
Angélique ne savait plus par quel bout le prendre. Il y avait en cet enfant quelque chose qu'elle n'arrivait pas à démêler. Il mentait certainement sans nécessité et avec une assurance déconcertante. Dans quel but ? En désespoir de cause elle se tourna vers l'abbé de Lesdiguières et déversa sur lui son mécontentement :
– Cet enfant est à gifler, je ne vous fais pas mes compliments.
Le jeune ecclésiastique rougit jusqu'au bord de sa perruque.
– Madame, j'agis de mon mieux. Florimond, par son service, se trouve mêlé à certains secrets qu'il croit interpréter...
– Apprenez-lui au moins à les respecter, fit Angélique sèchement. En le regardant balbutier, elle se souvenait que c'était un des protégés de Mme de Choisy. Dans quelle mesure l'avait-il espionnée et dénoncée ?
Florimond, ayant ravalé ses larmes, dit qu'il devait accompagner les petites princesses à la promenade et demanda la liberté de se retirer. Il sortit par la porte-fenêtre d'un pas qu'il voulait digne, mais dès qu'il eut franchi les marches du perron il s'élança en galopant et on l'entendit chanter. Il était comme un papillon, enivré par la belle journée de printemps. Le parc de Saint-Cloud, aux pelouses folles, commençait à crisser du chant de ses cigales.
– Monsieur de Lesdiguières, que pensez-vous de cette affaire ?
– Madame, je n'ai jamais pris Florimond en flagrant délit de mensonge.
– Vous voulez défendre votre élève, mais en l'occurrence cela vous engage à de bien graves appréciations...
– Sait-on jamais ? fit le petit abbé, reprenant l'expression de l'enfant.
Il joignit ses mains avec force, dans un geste d'anxiété.
– À la Cour, les plus hauts dévouements sont sujets à caution. Nous sommes entourés d'espions...
– Cela vous va fort bien de parler d'espions, Monsieur l'abbé, vous qui avez été payé par Mme de Choisy pour me surveiller et me trahir !
L'abbé devint pâle comme la mort. Ses yeux de jeune fille s'agrandirent. Il se mit à trembler et finit par s'écrouler à genoux.
– Madame, pardon ! C'est vrai. Mme de Choisy m'avait placé près de vous pour vous espionner, mais je ne vous ai pas trahie. Cela, je vous en fais serment... Je n'aurais pu vous causer le moindre tort. Pas à vous, Madame, pardonnez-moi !
Angélique s'écarta pour regarder par la fenêtre.
– Madame, croyez-moi ! supplia encore le jeune homme.
– Oui, je vous crois, fit-elle avec lassitude. Mais dites-moi alors qui m'a dénoncée à la Compagnie du Saint-Sacrement. Est-ce Malbrant-coup-d'épée ? Je le vois mal dans ce rôle.
– Non, Madame. Votre écuyer est un brave homme. Mme de Choisy l'a placé chez vous pour rendre service à sa famille, qui est très honorable et de sa province.
– Et les demoiselles de Gilandon ?
L'abbé de Lesdiguières hésitait, toujours à genoux.
– Je sais que Marie-Anne est allée voir sa protectrice la veille de votre arrestation.
– C'est donc elle. Quelle petite punaise de bénitier ! Beau métier que vous acceptez là, Monsieur l'abbé. Je ne doute pas qu'en continuant vous deviendrez évêque.
– Il n'est pas facile de vivre, Madame, murmura doucement l'abbé. Considérez ce que je dois à Mme de Choisy. J'étais le cadet d'une famille de douze enfants, le quatrième garçon. Nous n'avons pas toujours mangé à notre faim au château paternel. Je me sentais attiré par la vie ecclésiastique ; j'avais le goût des études et du bien des âmes. Mme de Choisy m'a payé plusieurs années de séminaire. En m'installant dans le monde elle m'a prié de la renseigner sur les turpitudes dont je pourrais être témoin afin de lutter contre les forces du mal. Je trouvais cette tâche noble et exaltante. Mais je suis entré dans votre maison, Madame...
Toujours à genoux il levait sur elle ses yeux de biche et elle eut pitié de la passion romanesque qu'elle avait éveillée dans ce cœur candide.
Il était de la race des petits nobliaux qui grandissent dans les vieux châteaux croulants, et qui sans sou ni maille partent à la recherche de leur destin, n'ayant à vendre que ce qu'ils possèdent, leur âme ou leur corps. C'était de cette espèce-là que Monsieur, le frère du roi, faisait ses gitons. Mieux valait encore, pour un cadet de bonne famille, se louer à la Vertu. Sa réflexion la ramena à d'autres soucis.
– Relevez-vous, l'abbé, dit-elle, bourrue. Je vous pardonne car je vous crois sincère.
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