– Et voilà toutes vos excuses pour votre conduite inqualifiable !...
– Et voilà toutes les vôtres pour votre conduite non moins inqualifiable !
Angélique se redressa en tapotant ses jupes nerveusement. Elle était en colère. Mais un coup d'œil jeté sur la physionomie assez marrie du souverain lui rendit son sens de l'humour. Elle ébaucha un sourire. Les traits du roi se détendirent.
– Bagatelle, je suis un sot !
– Et moi, je suis trop vive.
– Oui, une fleur sauvage ! Croyez-moi, si je vous avais reconnue, je ne me serais pas comporté de cette façon. Mais, en entrant, je n'ai vu qu'une nuque blonde et, ma foi, deux jambes admirables et... très attirantes.
Angélique le regarda de biais et eut la moue indulgente et gaie qu'une femme adresse à un homme pour lui signifier qu'elle n'est pas trop, trop fâchée, à condition qu'il ne recommence plus. Même un roi avait le droit de se sentir tout benêt devant ce sourire.
– Me pardonnez-vous ?
Elle lui tendit la main, et il la baisa. Elle n'y avait pas mis de coquetterie. C'était le geste franc qui termine la querelle. Le roi se dit que c'était une femme délicieuse. Un peu plus tard, comme elle traversait la cour de marbre, elle tomba sur un garde qui paraissait chercher quelqu'un et qui l'aborda :
– Je viens de la part du grand chambellan de Sa Majesté pour vous informer que votre appartement est retenu en haut de l'aile des princes du sang à droite. Dois-je vous y conduire, Madame ?
– Moi ? Vous devez faire erreur, mon brave.
L'homme consulta une tablette.
– Mme du Plessis-Bellière, c'est bien ce nom. Je croyais avoir reconnu Madame la marquise.
– En effet.
Étonnée, elle suivit le militaire. Il lui fit traverser les appartements royaux, puis ceux des premiers princes du sang. Au bout de l'aile droite, un des fourriers en casaque bleue achevait d'inscrire à la craie sur une petite porte :
POUR Madame du Plessis-Bellière.
Angélique eut un éblouissement. De joie, elle faillit sauter au cou des deux militaires. Elle leur donna plusieurs pièces d'or :
– Voici de quoi boire à ma santé.
– On vous la souhaite bonne et gaillarde, répondirent-ils avec un clin d'œil entendu.
Elle leur demanda de prévenir ses laquais et ses servantes pour y faire porter sa garde-robe et son lit. Puis elle prit possession, avec un plaisir enfantin, de son appartement, composé de deux pièces et d'un réduit.
Assise sur son coussin Angélique médita avec ravissement sur les sensations grisantes qu'inspirent les bonnes grâces d'un monarque. Puis elle ressortit pour contempler une fois de plus l'inscription :
POUR Madame du Plessis-Bellière.
– Ainsi vous l'avez obtenu, ce fameux POUR !
– Il paraît que les « hommes bleus » ont inscrit votre POUR ?
La nouvelle avait déjà fait long feu. En arrivant au seuil de la salle de bal Angélique était l'objet de l'admiration et de l'envie. Elle rayonnait. L'arrivée du cortège de la reine doucha un peu son enthousiasme.
La souveraine saluait gracieusement sur son passage les personnes qu'elle remarquait. Mais devant la marquise du Plessis-Bellière elle affecta de ne pas la voir et prit un air glacial. Son attitude n'échappa pas aux assistants.
– Sa Majesté la reine vous fait grise mine, glissa le marquis de Roquelaure. Déjà elle reprenait espoir devant la faveur déclinante de Mlle de La Vallière, mais voici qu'une nouvelle rivale se dresse encore, plus éblouissante.
– Laquelle ?
– Vous, ma chère.
– Moi ? Encore cette sottise ! soupira la jeune femme, excédée.
Elle n'avait vu dans le geste du roi que ce qu'il y avait mis sans doute : le désir de se faire pardonner et de remédier, en maître de maison, à une incommodité dont elle s'était plainte. Les courtisans y voyaient une nouvelle preuve de son amour pour elle. Angélique, contrariée, s'attarda à l'entrée de la salle de bal. Cette salle était toute tendue de tapisseries aux vifs coloris. Trente-six chandeliers, descendant de la voûte, l'éclairaient de leurs innombrables bougies. Se faisant vis-à-vis on avait dressé des gradins où prenaient place, à droite les dames, à gauche les seigneurs. Le roi et la reine avaient une loge réservée. Au fond, sur une estrade encadrée de guirlandes de feuillage doré se tenaient les musiciens, sous la direction de M. Lulli.
– La reine a pleuré à cause de Mme du Plessis-Bellière, chuchota une voix rauque. On lui a dit que le roi était en train d'installer les appartements de sa nouvelle maîtresse. Méfie-toi, marquise !
Angélique n'eut pas besoin de baisser les yeux et de se retourner pour reconnaître d'où venait cette voix qui semblait sortir de terre. Sans bouger elle répondit :
– Seigneur Barcarole, n'ajoutez pas foi à de telles paroles. Le roi ne me convoite pas. Enfin pas plus que n'importe quelle autre dame de son entourage.
– Alors, méfie-toi encore plus, marquise. On te prépare un mauvais coup.
– Qui cela ? Pourquoi ? Que sais-tu ?
– Pas grand-chose. Je sais seulement que Mme de Montespan et Mme du Roure sont allées chez la Voisin pour trouver le moyen d'empoisonner La Vallière. Elle leur a conseillé de désaffecter l'esprit du roi par la magie et, déjà, Mariette, son prêtre sacrilège, a fait passer des poudres sous le calice.
– Tais-toi ! fit-elle dans un sursaut d'horreur.
– Méfie-toi de ces garces. Le jour où elles se mettront en tête que c'est toi qu'il faut faire passer de l'autre côté...
Les violons attaquaient le prélude au rythme d'une cadence vive et charmante. Le roi se leva et, après s'être incliné devant la reine, il ouvrit le bal avec Mme de Montespan.
Angélique s'avança. Il était temps pour elle de prendre place. Dans l'ombre d'une tenture, le gnome chapeauté de plumes ricanait...
Chapitre 6
Le Roi s'occupait des affaires qui regardaient la guerre. Il fit dresser un camp dans la garenne de Saint-Germain. Les tentes étaient fort belles. Celle de M. de Lauzun – rentré en grâce – avait trois pièces tendues de soie cramoisie. Il y reçut le roi et l'on donna une grande fête. À Fontainebleau, où la Cour se rendit ensuite, des troupes étaient rassemblées et les dames eurent le spectacle des revues militaires où le roi aimait à faire admirer la discipline et la belle tenue des hommes.
La Violette fourbissait l'armure de son maître, le corselet d'acier, plus décoratif que nécessaire, que le maréchal porterait sous ses cols de dentelles. La tente rebrodée valait 2 000 livres. Cinq mulets porteraient les bagages. Les chevaux de selle étaient prévus. Et les mousquetaires de la compagnie personnelle de M. du Plessis étaient entièrement équipés d'un drap chamois aussi épais qu'un écu d'argent, avec buffleteries dorées et culotte de peau blanche à coutures d'or.
Oui, l'esprit du temps était à la guerre. L'appel de la ribaude qui, s'en allant sur les rives de la Seine en criant : « Eh ! Roi de France, quand donc nous donneras-tu la guerre... la belle guerre ! »... n'était-il pas parvenu jusqu'au jeune souverain qui, lui aussi, humait dans le vent l'appel de la gloire ?
Seule la guerre donne la gloire. Le triomphe des armes complète la grandeur des souverains.
La guerre émergeait de sept années de paix comme un fantôme rayonnant où chacun, depuis le roi, les princes, les gentilshommes, jusqu'au peuple mouvant des spadassins désœuvrés, des têtes chaudes en quête d'aventures, reconnaissait l'appétit de sa race pour le grand jeu épique du combat. Les bourgeois, les artisans et les paysans n'étaient pas consultés. Auraient-ils montré de la réticence ? Que non pas. La guerre pour la nation qui l'entreprend c'est la victoire, promesse d'enrichissement, rêves fallacieux de se libérer d'insupportables servitudes. Ils avaient confiance en leur roi. Ils n'aimaient pas les Espagnols. Ni les Anglais, ni les Hollandais, ni les Suédois, ni les Impériaux.
Le moment semblait venu de montrer à l'Europe que la France était la première nation du monde et n'entendait plus obéir, mais dicter ses ordres. Le prétexte manquait. Des casuistes furent chargés par Louis XIV de l'extraire du passé et du présent politiques. Après avoir beaucoup réfléchi on découvrit que la reine Marie-Thérèse, enfant du premier lit de Philippe IV d'Espagne, avait sur la Flandre un droit d'héritage, à l'exclusion de Charles II, enfant du second lit. L'Espagne fit remarquer que ce droit n'était fondé que sur un usage exclusivement local de la province des Pays-Bas qui excluait de la succession les enfants du second lit en faveur de ceux du premier et qu'elle, l'Espagne, maîtresse de ces provinces, n'avait pas à en tenir compte. Qu'elle rappelait d'ailleurs qu'en se mariant au Roi de France, Marie-Thérèse avait renoncé solennellement à tout l'héritage espagnol.
La France répondit que l'Espagne n'ayant pas versé les cinq cent mille écus qui, d'après le traité des Pyrénées, devaient être comptés au Roi de France pour la dot de Marie-Thérèse, ce manque de parole annulait les promesses précédentes.
L'Espagne répliqua qu'elle n'avait pas à verser cette dot, puisque celle stipulée pour la fille de Henri IV lorsqu'elle était devenue reine espagnole en 1621 n'avait pas été acquittée plus fidèlement par la Cour du Louvre.
La France arrêta là les réminiscences des diplomates, en se basant sur le principe qu'en politique il faut avoir la mémoire courte.
*****
L'armée partit en conquête pour les Flandres et la Cour à sa suite se mit en route pour un voyage d'agrément.
C'était le printemps. Printemps pluvieux il est vrai, mais cependant c'était la saison qui avec les pommiers fait éclore les projets belliqueux. Il y avait autant de carrosses à la suite des troupes que de canons et d'équipages de guerre.
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