Un visage se penchait vers elle. Une voix tendre et profonde lui disait :
« Mon âme... tu souffres. Pardonne-moi. Je n'imaginais pas que tu devrais endurer tout cela... » Le grand comte de Toulouse s'émouvait de la torture qui broyait le corps bien-aimé. Comme elle était heureuse en ce temps-là !
Aujourd'hui, trop de coups avaient sapé son énergie. Ses nerfs étaient devenus fragiles.
– C'est que l'enfant est trop gros, gémit-elle. Les autres n'étaient pas si gros...
– Bah ! Bah ! Vous m'en contez. J'ai croisé votre cadet dans l'antichambre. Bâti comme il l'est aujourd'hui, il n'a pas dû faire rire non plus celui-là, quand il a mis son nez dehors.
La naissance de Cantor ! Elle ne voulait plus s'en souvenir. C'était un cauchemar fétide, un gouffre obscur et glacial où elle avait connu toutes les douleurs. Mais en songeant à l'horrible Hôtel-Dieu, où tant d'innocents poussaient leur premier cri sur terre, Angélique eut honte de ses jérémiades, et cela l'incita à se montrer raisonnable. Elle consentit à s'asseoir dans un grand fauteuil, un coussin sous les reins, un tabouret sous les pieds. Une des demoiselles Gilandon lui proposa de lui lire quelques prières. Angélique l'envoya promener. Que faisait cette caillette dans une chambre d'accouchée ? Elle n'avait qu'à rejoindre l'abbé de Lesdiguières, et s'ils n'avaient rien de mieux à se dire tous les deux, elle ne les empêchait pas de prier pour elle et même d'aller planter un cierge en l'église Saint-Paul. Enfin les souffrances étant devenues plus fréquentes et plus fortes, Mme Cordet la fit étendre sur la table devant le feu. La jeune mère ne retenait plus ses plaintes. C'était l'instant difficile et angoissant où le fruit prêt à se détacher semble arracher les racines de l'arbre qui l'a porté. Les oreilles d'Angélique bourdonnaient sous l'assaut des vagues douloureuses. Elle crut entendre un remue-ménage au-dehors, et une porte claqua. La voix de Thérèse dit :
– Oh ! v'la Monsieur le Marquis.
Elle ne comprit qu'en voyant à son chevet Philippe dressé, magnifique et insolite parmi ces femelles affairées, dans sa redingote de Cour avec son épée, ses manchettes de dentelles, sa perruque, son chapeau au panache de plumes blanches.
– Philippe ! Que faites-vous là ! Que voulez-vous ? Pourquoi venez-vous ?
Il eut une expression ironique et hautaine.
– C'est aujourd'hui la naissance de mon fils. La chose m'intéresse, figurez-vous !
L'indignation ranima Angélique. Elle se dressa sur un coude.
– Vous êtes venu pour me voir souffrir, cria-t-elle. Vous êtes un monstre. L'homme le plus cruel, le plus ignoble, le plus...
Un nouveau spasme lui coupa la parole. Elle se rejeta en arrière, cherchant son souffle.
– Allons ! Allons ! dit Philippe. Il ne faut pas s'énerver.
Il posa la main sur son front moite et commença à le caresser lentement, tout en murmurant des paroles qu'elle percevait à peine mais dont le bourdonnement l'apaisait.
– Calme ! Calme ! Tout va bien ! Courage, ma belle...
« C'est la première fois qu'il me caresse, songea Angélique. Il retrouve pour moi les gestes et les mots qu'il a au chenil ou à l'écurie pour la chienne ou la jument en train de mettre bas. Pourquoi pas ? Que suis-je d'autre en ce moment qu'une pauvre bête... On dit qu'il peut rester patiemment des heures à les rassurer... que les plus sauvages lui lèchent les mains... »
Il était bien le dernier homme dont elle eût attendu du secours en cet instant. Mais il serait dit que Philippe du Plessis-Bellière ne cesserait jamais de l'étonner. Sous sa main elle se détendait et reprenait des forces.
« S'imagine-t-il que je ne saurais pas mettre son enfant au monde ? Je vais lui montrer de quoi je suis capable. Je ne pousserai pas un cri ! »
– C'est bien ! C'est bien ! disait la voix de Philippe. Ne crains rien... Et vous autres, espèce d'empotées, soutenez-la un peu. Qu'est-ce que vous f...
Il s'adressait aux matrones comme aux valets du chenil.
Dans la demi-inconscience du dernier instant Angélique leva les yeux sur Philippe. Dans ce regard cerné, agrandi et comme voilé d'une douceur pathétique, il eut la vision de ce que serait son abandon... Cette femme qu'il s'imaginait pétrie de dureté ambitieuse et de calculs sournois était-elle capable de faiblesse ? Ce regard traversait le passé. C'était celui d'une petite fille en robe grise qu'il tenait par la main et qu'il présentait aux rires moqueurs de ses amis :
« Voici la Baronne de la Triste Robe ».
Philippe serra les dents. Il posa vivement la main sur ce regard.
– Ne crains rien, répéta-t-il, ne crains plus rien maintenant...
– C'est un garçon, dit la sage-femme.
Angélique voyait Philippe tendre à bout de bras un petit paquet rouge, dans un linge, en criant :
– Mon fils ! Mon fils !
Il riait.
On transporta la jeune femme dans son lit aux draps parfumés, où la bassinoire de cuivre avait passé et repassé.
L'invincible sommeil des accouchées s'appesantissait sur elle. Elle chercha des yeux Philippe.
Il se penchait sur le berceau de son fils.
« Maintenant je ne suis plus intéressante », se dit-elle, frappée de déception. Cependant une impression de bonheur la poursuivait dans son repos.
Chapitre 3
Ce fut lorsqu'on déposa pour la première fois le bébé dans ses bras qu'Angélique réalisa ce que cette : nouvelle existence signifiait.
Le poupon était beau. On l'avait étroitement emmailloté de bandelettes de lin bordées d'un galon de satin qui maintenaient ses bras et ses jambes et s'enroulaient en capuchon autour de sa tête. Il ne montrait qu'une ronde frimousse de porcelaine blanche et rose, où s'ouvraient deux prunelles d'un bleu vague mais qui bientôt deviendraient du même saphir transparent que celles de son père.
La nourrice et les servantes répétaient, admiratives, qu'il était blond comme un poussin et dodu comme un amour.
– Cet enfant est sorti de mon sein, se dit Angélique, et pourtant ce n'est pas le fils de Joffrey de Peyrac ! J'ai mêlé mon sang, qui n'appartenait qu'à lui, à un sang étranger.
Atterrée, elle voyait en lui le fruit d'une trahison qu'elle n'avait pas réalisée jusqu'alors. Elle dit à mi-voix :
– Je ne suis plus ta femme, Joffrey !
Ne l'avait-elle pas voulu ainsi ?
Elle se mit à pleurer.
– Je veux revoir Florimond et Cantor, cria-t-elle au milieu de ses sanglots. Oh ! je vous en supplie, qu'on fasse venir mes fils.
Ils vinrent. Ils s'avancèrent et elle tressaillit à la vue du hasard qui ce jour-là leur avait fait revêtir un même costume de velours noir. Différents et semblables avec leurs tailles égales, leurs teints mats et leurs chevelures épaisses tombant sur le grand col de dentelle blanche, ils se donnaient la main, geste familier, dans lequel depuis leur petite enfance ils semblaient puiser la force de suivre les chemins de leur destinée menacée. Ils saluèrent et s'assirent très poliment sur deux tabourets. Le spectacle inhabituel de leur mère étendue entre ses draps les impressionnait.
Angélique prit sur elle pour dominer le désarroi qui lui serrait la gorge. Elle ne voulait pas les émouvoir.
Elle leur demanda s'ils avaient vu leur nouveau frère ? Oui, ils l'avaient vu. Qu'en pensaient-ils ? Selon toute apparence, ils n'en pensaient rien. Après s'être consulté du regard avec Cantor, Florimond affirma que c'était un « charmant chérubin ». Les résultats des efforts conjugués de leurs quatre précepteurs étaient réellement remarquables. La méthode où entraient en bonne partie coups de verge et coups de règle, y était certainement pour quelque chose, mais plus encore la mentalité des deux enfants, plies très tôt à d'affreuses disciplines. Parce qu'ils avaient subi la faim, le froid et la peur, ils semblaient s'adapter à tout. On leur ouvrait la clé des champs : aussitôt ils galopaient et se transformaient en sauvages. On leur imposait de riches costumes, l'obligation de saluer et de composer des compliments : ils devenaient alors de parfaits petits seigneurs.
Elle s'avisait pour la première fois de cette souplesse innée de leur caractère. « Souples comme la pauvreté apprend à l'être ! »
– Cantor, mon troubadour, ne nous chanterez-vous pas quelque chose ?
L'enfant alla chercher sa guitare et préluda de quelques accords.
Le roi a fait battre tambour
Pour voir toutes ses
dames Et la première qu'il a vue
Lui a ravi son âme...
« Tu m'as aimée, Joffrey. Et je t'ai adoré. Pourquoi m'as-tu aimée ? Parce que j'étais belle ?... Tu étais tellement épris de beauté. Un bel objet dans ton palais du Gai-Savoir... Mais tu m'aimais plus que cela ! Je l'ai su lorsque tes bras durs m'étreignaient jusqu'à me faire gémir... J'étais pourtant enfantine encore... Mais intègre. C'est pour cela peut-être que tu m'as tant aimée... »
Marquis, dis-moi la connais-tu
Qui est cette jolie dame ?
Et le marquis a répondu
Sire le Roi, c'est ma femme.
« Ma femme...
« L'autre nuit comme il a dit ces mots, le blond marquis au regard impénétrable ! Je ne suis plus ta femme, Joffrey ! Il me revendique. Et ton amour s'éloigne de moi comme une barque qui m'abandonne sur un rivage glacé. Plus jamais ! Plus jamais !... C'est difficile de se dire : plus jamais... d'admettre que tu deviennes une ombre pour moi aussi. »
Marquis tu as plus de chance que
moi D'avoir femme si belle
Si tu voulais me l'accorder
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