– Ne craignez donc pas que je vous brûle, dit Philippe. Il est entendu que je ne vous causerai aucun dommage en public. C'est un principe de vénerie. Le dressage doit se mener à huis clos et en tête à tête. Ça, faisons le point de nos affaires, voulez-vous ? Première partie. Vous gagnez la première manche en me contraignant à vous épouser. Je gagne la seconde en vous infligeant une petite correction méritée. La « belle » vous reste, puisque malgré mes interdictions vous vous présentez à Versailles et y êtes reçue. Je m'incline et nous entamons la seconde partie. Je gagne la première manche en vous enlevant, vous gagnez la seconde en vous évadant. Je serais d'ailleurs curieux de savoir comment. Bref, nous en sommes à la « belle ». À qui restera-t-elle cette fois ?
– Le sort en décidera.
– Et la valeur de nos armes. Il se peut que vous soyez encore triomphante. Vos chances sont grandes. Mais attention ! Je veux vous prévenir d'une chose : la fin du tournoi sera pour moi. J'ai la réputation d'être tenace dans mes projets et de m'accrocher à mes positions. Combien pariez-vous qu'un jour vous vous trouverez, par mes soins, au fond d'un couvent de province à filer la quenouille, sans espoir d'en jamais sortir ?
– Combien pariez-vous qu'un jour vous serez follement amoureux de moi ?
Philippe s'immobilisa et respira profondément, comme si cette seule supposition le bouleversait d'indignation.
– Eh bien, parions, puisque vous le proposez, reprit Angélique en riant. Si vous gagnez je vous abandonne toute ma fortune, mon commerce, mes bateaux. Quelle importance pour moi, n'est-ce pas, de posséder tout cela puisque je serai cloîtrée, défigurée, décharnée, devenue idiote sous le poids des tourments ?
– Vous riez, dit-il, en la regardant, vous riez, répéta-t-il, menaçant.
– Que voulez-vous, on ne peut pas toujours pleurer.
Mais des larmes soudaines emplirent ses yeux et comme elle levait la tête pour le regarder il vit à la racine de son cou gracile, sous le collier qu'elle avait loué pour les dissimuler, les meurtrissures qu'elle lui devait.
– Si je gagne, Philippe, murmura-t-elle, je vous demanderai de me donner ce pendentif d'or que votre famille tient depuis les temps lointains des premiers rois et que chaque aîné doit accrocher au cou de sa fiancée. Je ne me souviens plus très bien de la légende qui est attachée à ce collier, mais je sais qu'on racontait dans le pays qu'il avait le pouvoir magique de donner aux femmes de la famille du Plessis-Bellière la vertu de courage. Pour moi vous avez dédaigné la tradition.
– Vous n'en aviez pas besoin, riposta Philippe brusquement.
Et la plantant là, il marcha à grands pas vers le palais. Le lendemain à l'aube toute la Cour, à cheval, dévalait vers la forêt. La chasse fut très réussie. À midi, un cerf splendide couronné de dix cors, s'effondrait sur la mousse.
Le retour pour Saint-Germain fut décidé aussitôt après la curée. Angélique, elle, rentrait sur Paris dans un carrosse prêté par Mme de Montespan. Au moment du départ, elle vit le prince de Condé qui lui adressait de loin des moulinets amicaux avec sa canne. Elle s'en fut lui faire sa révérence.
– Monseigneur, lui dit-elle, la Cour est un lieu bien surprenant. Vous qui avez une grande expérience de ce monde, pourriez-vous me donner des conseils ?
– Mon petit, lui répondit-il, à la Cour vous n'aurez que trois choses à faire : dire du bien de tout le monde, demander tout ce qui vaquera, et vous asseoir où vous pourrez !
Chapitre 9
Angélique retournait de Versailles à Paris en fiacre.
Le trajet lui parut court tant ses pensées s'entremêlaient dans sa tête. Elle avait du mal à imaginer que trois jours à peine s'étaient écoulés. Toute cette vie nouvelle à la Cour l'intriguait, l'inquiétait, la ravissait aussi. Elle était loin d'en démêler les fils complexes. Le faste et les réjouissances l'avaient moins subjuguée cette fois que la vie bouillonnante de ce monde fermé, réglée comme un ballet et explosive comme un volcan. Le calme de son hôtel de la rue du Beautreillis lui ferait du bien. Elle était pétrie de courbatures, particulièrement aux genoux, conséquence des multiples révérences distribuées. Elle songea que l'état de courtisan devait aider à entretenir la souplesse des muscles jusqu'à un âge avancé. Pour sa part elle manquait encore d'entraînement.
« Un bain chaud, un petit souper, et au lit ! Philippe ne me fera pas enfermer au couvent d'ici demain. Et, qui sait, la semonce du roi le maintiendra peut-être en respect pendant un moment. »
Déjà son optimisme reprenait le dessus. Elle regarda Paris, le trouva bien gris dans le soir à côté des perspectives dorées de Versailles, mais reposant. Le portail donnant sur la grande cour d'entrée de son hôtel était ouvert à deux battants.
« Je vais réprimander vertement le portier de ce désordre », se dit-elle en sautant à terre, profitant de l'arrêt momentané du véhicule de louage devant la loge du suisse. Flipot, dont la vivacité était toujours devancée par celle de sa maîtresse, fit un saut pour venir soutenir la queue de son manteau.
– Pardon, excuse, Marquise, bredouilla-t-il.
Angélique ne le reprit même pas, tellement le spectacle qu'elle voyait l'absorbait.
– Mais c'est une véritable foire de village dans mon propre hôtel, ma parole !
La cour, qu'elle avait laissée particulièrement vide trois jours auparavant, était maintenant encombrée d'un amoncellement de calèches, fiacres de louage, chaises à porteurs et jusqu'à trois carrosses, plutôt modestes il est vrai, mais fort envahissants.
– M'est avis, Marquise, qu'il y a chez vous comme qui dirait une descente de la ville. C'est-y qu'on prend votre turne pour la bonne auberge... sauf vot' respect ?
Mme du Plessis se fraya un passage assez difficile à travers la cohue hétéroclite des cochers et valets de bas étage sans aucun doute car la plupart n'avaient ni livrée ni insignes, et qui maintenant ne reconnaissaient même pas la maîtresse du lieu. L'un d'eux, un rustre au nez rouge et puant le vin, ne lui laissa le passage qu'en maugréant.
– Te presse pas, ma belle, t'arrives trop tôt ! Il y a bien d'autres personnes, plus importantes, qui attendent depuis le matin.
Flipot brailla à l'insolent que c'était la patronne à qui il s'adressait. L'autre se troubla à peine :
– Ne cherche pas à m'épater. La patronne d'ici c'est une grande dame qui est riche à millions et que le roi ne quitte pas d'une semelle à ce qu'il paraît. Elle s'amènerait pas ici dans une vieille guimbarde et juste avec un petit laquais comme toi par-derrière. Moi, qui ne suis qu'au service du premier valet de La Vallière, eh bien ! tout premier valet qu'il est, il est quand même plus rupin que ta marquise. Tiens, pige-moi son carrosse, là dans le coin. Vous n'auriez quand même pas le toupet de prétendre être reçus avant lui ? Non, mais des fois !
Angélique poussa le personnage et passa, poursuivie par les huées de la valetaille et quelques exclamations joviales.
Cachant son inquiétude croissante elle pénétra dans son antichambre, qu'elle trouva archi-bondée de personnes qui lui étaient totalement inconnues.
– Thérèse ! Marion ! appela-t-elle.
Aucun de ses domestiques ne parut. Par contre son exclamation apaisa un peu le brouhaha des « envahisseurs ».
L'un d'eux portant une riche livrée et une multitude de rubans fonça sur elle... pour plonger aussitôt dans une révérence de Cour qu'aucun prince n'eût désavouée.
– Que Mme la marquise excuse l'extrême liberté que je me suis permis de prendre, commença-t-il tout en pâlissant et en cherchant fébrilement quelque chose sous les pans de sa redingote. Ah ! enfin ! soupira-t-il d'aise en extirpant un rouleau de parchemin noué d'un splendide nœud de soie, tout en poursuivant :
« Je suis le sieur Carmin, le premier valet de chambre de La Vallière, et je viens vous remettre une supplique pour le « privilège de location » des carrosses entre Paris et Marseille...
À la vue du papier calligraphié, toute la foule des miséreux endimanchés parut soudain fleurir de rectangles blancs. On eût dit une envolée de mouettes... sauf que les « oiseaux » restaient, eux, bien là.
– Moi aussi, j'ai une supplique : je suis ancien capitaine d'armes de Louis le Treizième. Reconnaissez ma barbe carrée. C'est pour un privilège-location de chaises de spectacles royaux qui comblerait d'aise un des plus vieux serviteurs de la royauté...
Le pauvre vieux tremblotait malgré sa mise martiale et faisait peine à voir. Une grosse vieille dame qui, elle, devait être de bonne noblesse, mais dont le châle rapiécé plusieurs fois trahissait la pauvreté, se jeta à terre aux pieds d'Angélique, en bousculant le vétéran.
– Je suis la baronne de Vaudu, mais pour soutenir mon rang j'ai mille difficultés. Obtenez-moi seulement l'exclusivité du déchargement des charrettes de marée à la porte de Paris et vous ferez le bonheur de mes vieux jours.
Par une réaction nerveuse, Angélique fut saisie d'une envie irrésistible de pouffer. Avec des hoquets dans la voix elle demanda :
– La marée ?... Mais, ma pauvre baronne, je vous vois mal distinguer un hareng d'un maquereau...
La vieille dame se redressa et lui jeta un regard vipérin.
– Fi donc, ma chère marquise ! Ce n'est pas à moi de m'occuper de ces horreurs. Bien entendu je trouverai un vieux Marseillais pour m'affermer au comptant et au viager le privilège que votre faveur auprès de notre tout-puissant souverain, ne manquera pas de m'obtenir. Quelques sols pour chacune des charrettes de poisson qui franchissent la Porte Saint-Denis.
Un petit vieillard à la barbiche rare écarta délibérément, avec une force inattendue, la baronne.
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