Il était évident que les occupants du Saint-Jean-Baptiste en avaient profité pour perpétrer ce lâche attentat. C'était Joffrey – Angélique l'apprendrait plus tard – qui avait le premier discerné quelque chose de suspect sur le Saint-Jean-Baptiste.
Villedavray soliloquait tout en commençant de descendre par l'échelle de corde dans l'embarcation.
– Je les ferai envoyer aux galères, je les ferai arquebuser... S'attaquer à mon fils ! Ils vont me demander toute ma fortune... Tant pis, je paierai... mais qu'ils prennent garde ! Ils ne l'emporteront pas en paradis...
Angélique essayait de ne pas s'affoler. Le Saint-Jean-Baptiste était cerné d'une flotte importante et bien armée. On en viendrait facilement à bout. Mais ils n'en avaient pas moins barre sur eux puisqu'ils détenaient entre leurs mains, à bord de ce navire mal famé, des existences innocentes et précieuses.
– Comment la chose avait-elle pu se produire ? De quel subterfuge s'était-on servi pour attirer ainsi les deux enfants, pourtant dressés à la méfiance et surveillés farouchement par Yolande et Adhémar ? Avait-on usé de violence ? Avec Yolande, cela semblait invraisemblable. Il aurait fallu plus que cet équipage de crève-la-faim pour l'embarquer de force. Alors ?...
– Qu'importe. Il serait temps de comprendre lorsqu'on aurait retrouvé tout le monde sain et sauf.
Angélique vit que Peyrac faisait descendre sa garde espagnole armée de mousquets à fourche. Tous les matelots qui l'accompagnaient étaient aussi équipés comme pour l'abordage.
Il se tourna vers elle :
– Je pars le premier...
– Je veux vous accompagner.
– Prenez patience ! Il est inutile que, si les choses se présentent mal, nous tombions tous ensemble au pouvoir des bandits. Vous allez me suivre incessamment. J'ai fait envoyer des signaux à terre avec ordre a deux embarcations de rallier le Gouldsboro immédiatement. Vous arriverez dans l'une avec d'Urville et ses hommes. Armez-vous de pistolets. Villedavray prendra l'autre. D'autre part l'état d'alerte est décrété à terre. Tout homme du Saint-Jean-Baptiste qui s'y trouve encore est cerné, et mis dans l'impossibilité de nuire et de regagner son bord...
– Peut-être ont-ils prévu cela ? Peut-être sont-ils tous sur le bâtiment et s'apprêtent à appareiller ? dit Villedavray qui derechef arracha la lorgnette au comte d'Urville pour examiner les mouvements du Saint-Jean-Baptiste. On dirait qu'il se trame quelque chose... sur le gaillard d'avant... Regardez :
– Ce vieux sabot ne peut pas nous filer au nez comme cela... Marquis, je vous en prie, ne désespérez pas avant l'heure, et concertons nos mouvements.
Joffrey de Peyrac parlait avec calme.
« Mais il est toujours calme quand c'est le pire », se dit Angélique, se remémorant la sérénité de Joffrey dressé devant le fort de Katarunk, alors que le cernaient les Iroquois hurlants.
Elle devait être blême.
Il posa sur son poignet sa main rassurante, et cela lui fit du bien, cette pression qui voulait lui communiquer la confiance.
– ... Patience, chérie ! répéta-t-il. Vous me suivez de près et nous allons tout mettre en œuvre pour donner à ces brigands l'impression que leur coup de force ne peut pas les mener bien loin. Mais il ne faut pas non plus qu'ils nous sentent trop vulnérables.
Elle sourit faiblement.
– Je vous comprends. Je suis prête.
– Courage ! réitéra-t-il, j'ai besoin de vous et de votre sang-froid. En montreriez-vous moins lorsqu'il s'agit de la vie de votre fille que celle de votre époux ? Comme l'autre soir ?
– Non ! balbutia-t-elle, mais... elle est... elle est si petite.
Elle vit le visage de Joffrey se crisper et comprit que lui aussi tremblait pour leur enfant chérie. Il se détourna brusquement et, les sourcils froncés, commença de descendre à son tour.
– Attendez, cria-t-on à la cantonade. Attention ! on dirait que cela bouge là-bas...
Tous s'interrompirent et les longues-vues montèrent avec ensemble au niveau des regards.
Un petit canot avait débordé l'avant du Saint-Jean-Baptiste et, passant sous la proue, avait viré en direction de la terre.
Et voici qu'on pouvait nettement distinguer parmi ses occupants, les taches colorées des bonnets des enfants, la coiffe blanche de Yolande, Adhémar. On les perdit de vue lorsqu'ils abordèrent, la plage étant lointaine, mais peu après une embarcation du Gouldsboro s'en détacha, ramenant tout le monde vers le navire.
– On nous rapporte leurs corps, gémit Villedavray.
– Mais non, je les vois mieux et ils me paraissent bien vivants, fit Angélique qui suivait attentivement la progression de la chaloupe.
L'étau qui poignait son cœur commença à se desserrer.
Tout cela était malgré tout étrange. Autant qu'on pouvait en juger à cette distance, les passagers de la barque ne se comportaient pas en prisonniers : échappé à un grave danger, mais, selon leur habitude, en paisibles badauds regagnant leur demeure après une agréable journée de festivités.
On vit même Honorine et Chérubin s'amuser à faire tremper leurs mains dans l'eau, au risque d'y tomber, divertissement qui leur était familier quoique formellement interdit.
Et, apparemment, Yolande et Adhémar, comme de coutume, bavardaient avec l'équipage.
– Quinze coups de garcette pour ces lambins de rameurs, s'impatienta Villedavray à bout de nerfs, ils tirent sur leurs avirons comme s'ils traversaient un étang. Est-ce qu'ils ne se rendent pas compte que nous mourons d'anxiété, ici ?
Mais cependant, il était remonté sur le pont. Chacun maintenant était rassuré et lorsque la petite compagnie aborda, l'inquiétude avait fait place dans le cœur des parents à un juste courroux.
Honorine et Chérubin prenant pied sur le pont, où s'empressaient de les hisser des bras fébriles, comprirent à la physionomie de l'état-major réuni pour les attendre que l'heure était grave.
Honorine en prit note sans paraître autrement troublée et telle était l'autorité de la petite personne que c'est à elle que d'emblée l'aréopage demanda des comptes beaucoup plus qu'à Yolande et Adhémar qui à leur tour émergeaient, et qui, comprenant qu'ils avaient dû commettre une bévue, échangèrent un regard inquiet.
*****
– D'où venez-vous, Mademoiselle ? interrogea Joffrey de Peyrac s'adressant à Honorine.
Celle-ci le fixa avec une certaine condescendance. Elle jugeait la question oiseuse étant donné que Joffrey de Peyrac devait savoir pertinemment qu'elle venait du Saint-Jean-Baptiste puisqu'ils étaient tous là à guetter leur arrivée avec des longues-vues. Mais elle n'ignorait pas que les grandes personnes aiment mettre en relief des évidences et, d'autre part, que nul à bord, même pas elle, Honorine, n'avait le droit de tenir tête au maître incontesté, le seigneur de Peyrac, et elle consentit à lui indiquer le Saint-Jean-Baptiste derrière elle, d'un geste désinvolte.
– Du Saint-Jean-Baptiste, répéta Peyrac. Pourriez-vous me dire, damoiselle, pour quelle raison vous avez eu l'imprudence de monter à bord de ce navire, sans notre autorisation ?
– Parce que j'y étais invitée pour une collation.
– Vraiment. Et par qui ?
– Par un de mes amis, rétorqua Honorine avec hauteur.
Elle était, en faisant cette déclaration, tellement Impayable avec son expression offensée et de réprobation pour un interrogatoire si malséant que le comte n'y put tenir.
Il laissa échapper un sourire. Puis s'élançant, il enleva la petite fille dans ses bras et la serra étroitement sur son cœur.
– Petit trésor, fit-il d'une voix étouffée, mais quelle imprudence, mon enfant ! Ne pouviez-vous réfléchir, avant d'accepter une telle invitation, que nous avions des ennemis sur ce navire et qu'ils auraient pu se venger de moi sur vous et vous mettre en danger ? Vous nous avez causé à votre mère et à moi une inquiétude mortelle. Honorine le contemplait avec étonnement.
– Alors, c'est vrai ! s'écria-t-elle ravie, tu as eu peur pour moi ?
– Certes, damoiselle. Ah ! je vous en prie, ne commencez jamais ! Car sachez que s'il vous arrivait malheur mon cœur serait brisé. Aucune parole ne pouvait plus complètement enchanter Honorine. Elle plongea son regard dans celui de Joffrey de Peyrac pour bien s'assurer qu'il parlait sincèrement, puis elle l'étreignit de ses petits bras appuyant sa joue ronde contre la joue marquée de cicatrices du gentilhomme et répétant avec ferveur :
– Pardonnez-moi, mon père, pardonnez-moi. Chérubin voyant qu'on ouvrait les bras à Honorine décida que tout allait pour le mieux et se précipita vers Angélique qui ne put faire autrement que de prendre dans les siens le pauvre petit bonhomme et de lui donner à lui aussi le baiser de la miséricorde.
– Demandez pardon à votre père, lui dit-elle en le tendant à Villedavray, qui pleurait comme un enfant d'attendrissement et de peur rétrospective.
Jamais il n'avait compris jusqu'à ce jour combien ce petit être lui était précieux.
Chérubin ne demandait pas mieux que d'embrasser tout le monde quoiqu'il ne saisit pas très bien le sens de ces effusions, mais il s'en réjouit dans son cœur affectueux. Cela valait mieux que de se faire gronder.
– M. de Villedavray était sur le point de partir vous chercher à la nage, prévint Angélique, s'adressant à Honorine.
– Vrai ! s'extasia la jeune demoiselle de plus en plus ravie.
Et elle glissa des bras de Peyrac dans ceux de Villedavray pour l'embrasser, puis fit le tour de l'assemblée mesurant le taux de sa popularité aux caresses qu'on lui prodiguait, chacun répétant à l'envi qu'elle avait causé – tous tant qu'ils étaient, flibustiers et gentilshommes d'aventures, qui en avaient vu d'autres – la plus grande peur de leur vie.
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